[CRITIQUE] Les magnétiques : Ondes d’une jeunesse passée, présente et future

Où se situe notre place dans le monde ? Devons-nous suivre le chemin pris par nos proches ? Peut-on réellement vivre de ce qui nous distingue, ce talent qui nous détermine en tant qu’individu·e à part entière? Voici quelques-unes des questions qui nous taraudent au moment où l’on est confronté·e à l’extinction de notre jeunesse et l’affirmation de notre avenir, et ce même dans un monde rempli d’incertitudes. Ce sont également les interrogations qui nourrissent Philippe, jeune homme vivant dans l’ombre de son frère charismatique ainsi que dans les tournants d’une France provinciale en pleine évolution dans les années 80. Le héros des Magnétiques se confronte ainsi à une transformation de son univers personnel, par son affection militaire à Berlin Est, à son amour pour Marianne et à une influence fraternelle pesante. Le gagnant du César du meilleur film révèle de cette manière des craintes qui se perpétuent entre générations, comme si la malédiction de la jeunesse était de subir continuellement les erreurs de ses prédécesseurs.

L’ouverture du premier long-métrage de Vincent Maël Cardona donne subtilement le ton de ce qui suit en filigrane au long de sa narration. S’amorçant avec un biais subjectif par une caméra dans sa diégèse (la narration se fait en souvenirs continus), on suit une soirée d’élections mouvementée, avec une bande de jeunes qui crient en espérant la victoire de Mitterand sur Giscard. Le semblant de bonhomie de cette séquence amorce une inquiétude, sourde au vu de la victoire effective du candidat socialiste, mais présente par certains regards. Des jeunes qui craignent pour leur avenir à l’orée d’une élection présidentielle ? De quoi résonner fortement avec l’actualité récente, comme le réalisateur nous l’a exprimé durant un entretien effectué justement durant l’entre deux tours.

« Le sentiment général est qu’on voit qu’il y a quand même une forme de confusion, de difficulté à penser, de perte de repères, même d’un point de vue politique politicienne, de politique de parti, même très fondamentalement. Cette impression générale est liée pour moi à cette idée qu’on est tous les héritiers d’un monde qui est en train de s’effacer au profit d’un autre et dans ce moment de changement, il y a des repères qui se perdent et d’autres qui sont inventés sans l’être tout à fait, ils sont là mais on n’en a pas forcément conscience. Il y a quelque chose qui me marque profondément, c’est le parallélisme qui peut exister, la similitude de réaction entre la génération qui a 20 ans aujourd’hui et celle dont on parle dans le film, qui avait 20 ans en 1980. Il y avait une avant-garde musicale, donc on a essayé de l’entendre, notamment par le biais de la bande-son du film, les musiques préexistantes. C’était l’invention de la génération No Future. Je crois que cette notion-là, donc pour eux ce qu’on appelait l’avenir, cessait d’être une perspective brillante et devenait quelque chose de problématique. C’est quelque chose que l’on retrouve très profondément aujourd’hui dans la jeune génération, c’est-à-dire la grande difficulté de se projeter de manière mécanique, automatique, dans un avenir qui se déroulerait. Il y a des grandes menaces, des grands points d’interrogation, la notion même de futur n’est pas celle qui correspond le plus à la jeune génération. J’ai l’impression que c’est une génération qui essaie vraiment de retravailler le présent. Pour moi, cela rentre en écho avec leurs grands aînés qui sont les jeunes gens dans le film, les magnétiques qui avaient 20 ans à l’époque. »

Paname

Les magnétiques s’adresse rapidement comme le récit d’une jeunesse qui doute, sans nécessairement verbaliser ses craintes. On pense au héros, Philippe Bichon, qui passe toute la narration à trouver sa voix au sein d’un monde où il se met constamment à l’écart. Quand il s’adresse en anglais à un présentateur, c’est en reprenant les paroles d’une chanson qu’il veut adresser à la fille qu’il aime. Quand celle-ci le coiffe lors d’un réel moment d’intimité entre eux, il faut qu’un autre morceau musical verbalise son propos, comme si son mutisme apparent l’handicapait. Dès lors, le procédé de la voix off, régulièrement criarde dans de nombreux récits, s’avère ici d’une pertinence émotive. On aperçoit la progression d’affirmation de notre héros mais également le seul moyen de rapprochement avec un frère énorme, de celleux qui contrôlent la mise en scène sans connaître nécessairement sa nature fictionnelle. En une seule séquence radiophonique partagée, on comprend la relation compliquée entre Philippe, ce garçon doué mais voué à rester en arrière-plan, et l’art de la désinvolture, de la provocation et du charisme de son frère Jérôme. Il n’est pas étonnant que ce soit une autre séquence de radio, magistrale d’un point de vue technique, qui sert de première vraie déclaration au personnage, usant de ce biais pour pouvoir contacter ses êtres aimé·es.

« (…) C’est comme si les mots ne seraient jamais à la hauteur de l’ampleur de la précision, la puissance de ce qu’il ressent. Il va mettre tout le film à utiliser ces mots, c’est ce qui est raconté ici avec la voix off. Dans cette scène-là, il n’est pas encore parvenu à utiliser les mots mais il faut qu’il trouve quelque chose. Il va donc utiliser son caractère fusionnel, son don de bricoleur, de manipulation sonore. Ce qu’on avait écrit dans la scène, c’est qu’il découvrait pas à pas les moyens matériels pour dire quand même quelque chose. (…) On a inversé l’écriture cinématographique traditionnelle. Normalement, le montage son est quelque chose qui se fait dans un second temps. On a donc commencé ici par la bande-son, puis on a cherché l’image pour l’illustrer et après on a fait un retour de post production de montage son où on a ajouté des choses et modifié d’autres paramètres. »

Paname

Pour sa première réalisation en format long, Vincent Maël Cardona impose un style visuellement marqué et nuancé. Les décors ruraux enferment, jouent du sur-cadrage pour mieux capter l’étouffement de ses protagonistes. Cela se ressent dans les portes d’une chambre mais plus encore lors d’un repas dont la tension est telle qu’elle renferme chacun·e dans son propre cadre. Jeunesse qui étouffe et cherche désespérément sa place, les personnages du film sont en perpétuelle interrogation, Philippe le premier. L’apparition d’un lieu à Berlin où il pourra s’affranchir jusqu’à l’extrême permet de mieux comprendre ce rapport à une ville qui le libère. Rien que le studio de radio de sa déclaration joue d’espaces vides qu’il se réapproprie enfin, n’étant plus enchaîné à des responsabilités familiales ou à un frère beaucoup trop imposant pour lui. Philippe est libre d’aimer Marianne et récupérer sa place en tant que soi. Mais il n’y a pas que cette composition des plans qui amène à cette affirmation de notre héros. La photographie joue sur une luminosité aussi intense que subtile, fines variations qui permettent par la colorimétrie de mieux traiter du bouillonnement intime de Philippe. Ainsi, l’usage du jaune, souvent de manière irradiante, amène à une forme de respiration pour lui, bulle de liberté au sein de décors grisâtres dans lesquels se joue son avenir à l’orée de responsabilités propres dans une période historique visuellement marquée.

« Je revenais donc sans arrêt à nos photos de famille, nos albums, nos photos argentiques, ce que l’on a chez nous. On se voit bébé, tout petits, dans les bras de nos parents, nos oncles, dans la France de cette époque-là. Pour moi, c’était important de revenir sur ces photos et les émotions qu’elles nous procuraient à nous, qui font appel à des souvenirs rares, fugaces, quelque chose très sensoriel de ce monde-là. Je crois que la lumière des couleurs a quelque chose à voir avec cette intention qui était très forte pendant tout le film, essayer d’être le plus fidèle possible à cette mémoire. »

Paname

Peut-être trop passé inaperçu à sa sortie, Les magnétiques s’affirme pourtant comme un coup gagnant, une de ces œuvres qui parviennent à capter aussi bien les inquiétudes d’une génération que le pouvoir bouleversant de l’amour. Sa sortie physique chez Blaq Out incite au rattrapage d’urgence tant ce premier long-métrage est beau d’énergie et de douceur, de subtilités visuelles et d’idées de mise en scène, de narration sonore à une technique impeccable. S’il est sourd, ce cri d’une jeunesse perpétuellement en lutte avec ce que ses prédécesseurs détruisent s’avère même important dans ce qu’il révèle de tristement cyclique tout en étant irradié par une envie de connexion à l’autre.

Les Magnétiques, réalisé par Vincent Maël Cardona, écrit par Vincent Maël Cardona, Chloé Larouchi, Maël Le Garrec, Rose Philippon, Catherine Paillé et Romain Compingt. Avec Timothée Robart, Marie Colomb, Joseph Olivennes, … 1h38

Sorti le 17 novembre 2021

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