Projet fantasque, ambition démesurée, œuvre exigeante, Frank Beauvais livre avec Ne croyez surtout pas que je hurle un film fou (dans son sens étymologique : s’agiter comme un soufflet, aller ça et là). Profondément personnel et diablement politique, le film de l’artiste français se révèle brillant.
“Janvier 2016. L’histoire amoureuse qui m’avait amené dans le village d’Alsace où je vis est terminée depuis six mois. À 45 ans, je me retrouve désormais seul, sans voiture, sans emploi ni réelle perspective d’avenir, en plein cœur d’une nature luxuriante dont la proximité ne suffit pas à apaiser le désarroi profond dans lequel je suis plongé. La France, encore sous le choc des attentats de novembre, est en état d’urgence. Je me sens impuissant, j’étouffe d’une rage contenue. Perdu, je visionne quatre à cinq films par jour. Je décide de restituer ce marasme, non pas en prenant la caméra mais en utilisant des plans issus du flot de films que je regarde.“
De ce flot d’images, Frank Beauvais va retenir près de 400 films de fiction. Il évacue les œuvres dites “expérimentales”, car son projet se veut dans la même veine. Suit alors un travail de classification conséquent où certaines séquences sont rangées dans tel ou tel dossier suivant la direction que voulait prendre le Français. La voix-off du cinéaste, seule partition audible du film, peut désormais se poser sur les images sélectionnées par Beauvais et son monteur Thomas Marchard. Les essais se font nombreux afin de parvenir à matérialiser ce cri, cette colère.
Le journal filmé devient journal dicté. La voix-off dialogue avec les images. Le beau côtoie le laid. Le cinéma n’est plus une fenêtre sur le monde, mais un miroir. Beauvais concède sombrer dans les films des autres. Godard ou Debord avant lui ont brillamment effectué cette exercice. Les images veulent tout dire. Et dans un même temps, elles ne veulent rien dire. Elles passent, pouvant être extraites aussi bien d’un journal télévisé, d’un live Facebook, d’une story Instagram, d’un selfie, d’un film d’auteur que d’un blockbuster hollywoodien. L’essentiel est de se les réapproprier, de les détourner afin de leurs donner sens, de montrer leurs limites. On se mord la queue. On sombre dans la schizophrénie.
Le réel a-t-il encore un intérêt après tout ce qu’a vécu Beauvais ? Le réel a-t-il encore un intérêt dans l’état d’urgence permanent ? Le réel a-t-il encore un intérêt dans une société capitaliste ? Frank Beauvais a semble-t-il choisi la négative à toutes ces questions. Vient alors le temps du Chaos ou de la Cinéphilie.
Ne croyez surtout pas que je hurle de Frank Beauvais. 1h15. Sortie le 25 septembre 2019.