Seulement un mois après la sortie en salles de Tom à la ferme, Xavier Dolan foule de nouveau la Croisette et à 25 ans le jeune homme peut se targuer de passer cette fois-ci par la grande porte. Direction la Compétition Officielle parmi les plus grands entre David Cronenberg, les frères Dardenne ou encore Jean-Luc Godard. C’est d’ailleurs avec ce dernier qu’il partage le Prix du jury. L’un avec Adieu au langage et l’autre avec Mommy.
À force de regarder le cinéma de Xavier Dolan, on pourrait presque en deviner le synopsis. On vous le donne dans le mille : une mère seule (le mari est décédé), une relation conflictuelle avec son fils, une tierce personne qui vient ré-équilibrer le tout, beaucoup de cris et paradoxalement beaucoup d’amour. Diane se retrouve du jour au lendemain avec son fils sur les bras. Jusque là un institut spécialisé s’occupait de lui mais après une énième frasque, il se retrouve dehors. Ce garçon c’est Steve. Et Steve n’est pas comme les autres. C’est un jeune homme atteint de TDAH (Troubles du déficit de l’attention avec hyperactivité). Un combo explosif qui pousse Diane dans ses derniers retranchements. Alors que tout semble perdu pour de bon, leur mystérieuse voisine Kyla (atteinte de troubles du langage après un traumatisme) débarque. À eux trois, iels trouvent un certain équilibre alors qu’un avenir semble enfin s’ouvrir pour Steve. Mais c’est sans compter ses déboires qui le rattrapent.

Après une carrière déjà bien remplie et un style désormais reconnaissable entre tous, Dolan s’attèle désormais à un nouveau format : le format 1:1 (entendez par là le format carré). Ce nouveau cadre donne une autre dimension à Mommy. L’occasion de se concentrer sur les personnages, leurs visages et leurs expressions. Un cadre qui s’adapte au récit en s’élargissant par deux fois : lorsque Wonderwall joue en fond pendant que Steve s’élance sur la route et pendant le dernier road trip du trio durant lequel Diane s’imagine, le temps d’un instant, ce que serait sa vie et celle de son fils si tout allait bien. Comme à son habitude, le cinéaste nous offre ses envolées lyriques composées de ralentis et de musique pop, le tout sublimé par la photographie d’André Turpin (avec qui il a déjà collaboré pour son précédent film).
L’un des plus gros reproches fait à Xavier Dolan depuis le début de sa carrière, c’est le ton “élitiste/cinéma d’auteur” qu’il utilise et qui ne plait pas à tout le monde. Il est pourtant intéressant de voir à quel point il est un enfant de la génération 90 et comment ses films en sont imprégnés. Ce sont des titres ancrés dans la mémoire collective (Wonderwall, White Flag de Dido ou encore On ne change pas) mais aussi des références à des films comme Maman j’ai raté l’avion. Comme quoi populaire et auteur peuvent totalement cohabiter.

Il apparaît que Mommy est la quintessence du cinéma de Dolan. Des obsessions, des névroses et une caméra qui trouve toute sa splendeur ici. La colère est mieux maîtrisée , moins de frivolités, moins de narcissisme aussi pour un film qui trouve un équilibre. D’un côté on a une mère de famille excentrique (ses vêtements qui en montrent toujours trop, son énorme porte-clé affublé d’un stylo qu’elle utilise pour signer les papiers de sortie de Steve et qui exaspère la directrice lorsque cet énorme amas de bibelots frotte contre son bureau) dépassée par les évènements et ne sachant plus comment aimer son fils. De l’autre, un jeune garçon rempli d’amour pour sa mère (prêt à voler un collier pour elle et à se battre contre un chauffeur de taxi qui a osé la traiter de bitch) mais impulsif, et une voisine quasi muette qui semble vouloir s’extirper de son quotidien avec sa fille et son mari. Trois personnages brisés qui, une fois ensemble, arrivent à combler les lacunes de chacun pour atteindre une certaine plénitude et un équilibre. Mais comme tout drame, l’équilibre ne dure jamais bien longtemps. Il est l’heure de revenir à la réalité, Steve restera toujours Steve et Diane doit se résigner, elle ne s’en sortira jamais avec lui malgré tout l’amour qu’elle peut lui porter.
Ce n’est pas pour rien que Mommy est reparti avec le Prix du Jury au Festival de Cannes 2014. Un film maîtrisé, beaucoup plus mature et surtout qui déborde. De grandeur probablement mais surtout d’amour. Quelque chose d’aussi dramatique qu’il réussit à être réconfortant. On ressort de là les yeux remplis de larmes et d’étoiles. Beau programme.
Mommy de Xavier Dolan. Avec Anne Dorval, Antoine-Olivier Pilon, Suzanne Clément… 2h19
Sortie le 8 octobre 2014