Presque dix ans après La Marche, Nabil Ben Yadir s’empare de nouveau d’un fait divers pour son dernier long-métrage. Nous avons également eu l’occasion d’échanger avec lui quant à la réalisation de ce film. Le meurtre d’Ihsane Jarfi a secoué la Belgique en 2012 de par sa cruauté : le jeune homme a été violé et roué de coups pendant des heures avant que ses agresseurs l’abandonnent au beau milieu des champs. Son corps ne sera retrouvé que deux semaines plus tard, les analyses du légiste montrant qu’il a souffert pendant près de six heures. Un assassinat homophobe que le réalisateur décide de prendre à bras le corps. Ce n’est pas anodin si le film est interdit aux moins de 16 ans. À travers un sordide assassinat, le réalisateur belge se penche autant sur la victime que sur ses assaillants pour comprendre notre société, comment la violence s’y est immiscée et comment, parfois de rien, un monstre peut naître. Animals nous prend par les tripes pour ne plus nous lâcher.
Tout commence par un anniversaire, celui de la mère de Brahim. Toute la famille et les ami·es sont réuni·es, la fête bat son plein et la caméra suit au plus près le jeune homme qui, malgré toutes les accolades, ne semble pas être à sa place. Pour preuve, il ne cesse de se déplacer dans tous les sens, regardant régulièrement son téléphone portable. Nous comprenons qu’il attend son petit-ami mais personne, excepté son frère, n’est au courant de son homosexualité. Ce dernier, ayant conscience que son frère compte profiter de l’événement pour faire son coming-out, il lui interdit d’aller au bout de sa démarche, et Brahim part retrouver son compagnon dans un bar gay avant de se retrouver alpagué dans une voiture dans laquelle les quatre passagers n’ont qu’une seule envie : le faire souffrir.

Comment mettre en scène la violence lorsqu’elle est aussi extrême ? Beaucoup de détails sont filmés : le corps blessé de Brahim (nom fictionnel, il s’agit bien d’Ihsane, renommé par choix de production), les tortures et les sévices subis ainsi que le flot d’insultes incessant. Un bal des horreurs auquel on assiste impuissant·e, difficile à encaisser tant le spectre de l’histoire vraie plane au-dessus du long-métrage. Alors que toute la première partie se compose de plans-séquences qui redonnent corps et vie à Ihsane, la seconde a quelque chose de beaucoup plus vivace et tranchant, pris sur le vif du sujet. L’utilisation des téléphones portables rend la scène encore plus tangible. Le montage presque sauvage témoigne de la violence du moment. Rarement cette dernière n’aura paru aussi frontale – au même titre que la scène de viol dans Irréversible – et pourtant si nécessaire. C’est là que l’exercice devient intéressant, lorsqu’il se veut pédagogique à travers une violence qu’on connaît déjà tou·tes (les réseaux sociaux par exemple), poussant le/la spectateur·ice à la réflexion quant ce qu’on pourrait faire dans ce genre de situation. La séquence d’agression qui ne dure qu’une quinzaine de minutes à l’écran semble durer des heures, repoussant l’audience dans ses retranchements jusqu’à un climax brutalement coupé par une troisième partie.
Là où le réalisateur aurait très bien pu conclure son film sur la mort de Brahim, il décide de le prolonger en suivant l’un des assassins quittant la scène de crime. Le ton est posé, il fait jour, quelque chose de dérangeant se dessine sous nos yeux. Un retour à la réalité à des années lumières des horreurs vues juste auparavant. La caméra suit méthodiquement les faits et gestes du jeune homme qui cache toutes les preuves qui pourraient l’accabler. En se préparant pour aller travailler, on découvre un quotidien fait de violences sans pour autant trouver des excuses à ce qu’il a pu faire. Une conclusion qui fait écho à l’ouverture. Toutes deux se déroulent lors d’une fête familiale (un anniversaire pour l’une, un mariage pour l’autre) lourde de secrets. Le poids d’une vérité qu’il devient difficile à cacher. La seule chose qui les sépare ? L’une est une vérité qui ne devrait en aucun cas avoir de terribles conséquences. Le meurtre d’Ihsane fut d’ailleurs le premier à être qualifié d’homophobe en Belgique.
L’expression “Film choc” est souvent utilisée à tort et à travers pour désigner un sensationnalisme déjà vu, pourtant Animals en est bien un. Il n’est d’ailleurs pas pour tout le monde, même si le devoir de mémoire est plus que nécessaire, à l’heure où l’homophobie continue de tuer à travers le monde.
Animals réalisé par Nabil Ben Yadir. Écrit par Nabil Ben Yadir et Antoine Cuypers. Avec Soufiane Chilah, Gianni Guettaf, Vincent Overath… 1h32
Sortie le 15 février 2023