Cuchillo Sanchez, jeune « péon » mexicain est accusé à tort du viol et du meurtre d’une fillette de 13 ans. Jonathan Corbett, vieux cowboy candidat aux élections sénatoriales et chasseurs de primes au tableau de victimes bien garni, est réquisitionné pour pourchasser le pauvre innocent. Le fugitif et le chasseur surnommé « Colorado », ne tarde pas à se retrouver. Sous ses airs d’énième western spaghetti à la trame et à la profondeur éculée, Colorado de son titre original La resa dei conti (comprendre règlements de comptes) est une œuvre bien plus grande et complexe.
Le Western spaghetti, d’un nom qui prête à sourire, est un genre des plus prolifiques du côté transalpin pendant près de 15 ans. Entre 1963 et 1978, pas moins de 450 films ont vu le jour après l’éclosion de Sergio Leone et son œuvre devenue légende. À la fois adulé ou moqué pour son caractère mercantile, guignolesque, de série b malheureuse, le clivage western « américain » contre « italien » n’a pas chômé. Pourtant, le genre traditionnel des contrées désertiques de l’ouest en déclin dans les années 60 s’est vu insuffler une seconde jeunesse, jusqu’à être considéré aujourd’hui comme un tournant dans l’histoire du 7ème art. Loin d’une défense des fondations de la nation américaine, de ses héros contre de méchants bandits, le bien face au mal indien, ici la violence est guidée par le coup de feu, le manque d’argent, celui qui se montre plus malin et impitoyable pour s’en sortir. Les italiens encore une fois capables de s’approprier des codes du cinéma de l’Ouest, les remanier et accoucher d’une propre vision. Du péplum mythologique, du film de guerre, d’espionnage, au polar remanié d’érotisme et d’horreur et son giallo, ses westerns spaghetti, le cinéma de « genres » a accouché d’une poignée d’œuvres uniques qui portent la marque d’une Italie et ses ambitions sans limite pour concurrencer le mastodonte américain.

Colorado de Sergio Sollima n’est pas le premier nom qui sort à l’esprit lorsqu’il s’agit d’accoler une étiquette au western à l’italienne. D’abord imaginé au scénario comme la poursuite d’un malfrat par un carabinier local en Sardaigne, Colorado n’avait rien d’un western. Le choix de Sollima de transposer son intrigue avec un chasseur face à un péon mexicain donne une dimension politique à son œuvre. La Spaghetti se conjugue en Zapata. Sous-genre d’un genre, le western « zapata » emprunte son nom à Emiliano Zapata, l’un des principaux acteurs de la révolution mexicaine de 1910. Un soulèvement et une rébellion de factions, vécues comme un combat pour la restitution des terres prises par de grands et riches propriétaires. La simplicité d’un scénario de chasse à l’homme renferme alors l’image d’une lutte des classes, un discours d’injustice sociale, d’une puissance de la grande caste qui piétine le bas peuple, jusqu’à l’accuser d’un drame et d’un geste qu’il n’a pas commis.

Le/la spectateur·ice le sait, Cuchillo n’est pas un tueur, et celui qui paraissait n’être qu’un second rôle, un personnage en retrait, s’avère l’élément principal du récit. La vision portée sur l’être dominant, le cowboy puissant, viril, qui représente le monde occidental conquérant se mute dans une prise de conscience de son environnement. L’injustice pousse le petit être à se révolter, faire entendre sa voix et se montrer plus habile qu’un bandit qui n’aurait rien à revendre. Frontalement la confrontation entre les deux hommes n’est pas celle attendue, mais celle d’un futur sénateur, mi chasseur-mi shérif qui combat en duel ses propres intérêts, son univers et sa conscience de voir la réalité des choses. Les deux hommes que tout opposent, ne sont pas existants que pour s’affronter. Certain·es historien·nes du cinéma voient sous le couvert de la révolution mexicaine une idée de l’Italie des années 60, économiquement euphorique, avec une transformation de classe de la société. L’homme du peuple a alors son rôle à jouer, par sa participation sociale il fait partie d’un projet d’envergure, un projet politique réservé aux élites, mais qu’il peut atteindre en criant son existence.

Le western spaghetti n’est pas l’anticlassique américain mais une autre face crasseuse et cynique, une évolution, un changement d’époque, de compréhension et d’intention. L’hommage est là, respecté par l’envie d’injecter des préoccupations propre dans un matériau épuisé mais indéfectible. Bâtir sur les ruines d’un cinéma qui a perdu de son aura, un édifice qui révolutionne ce qu’on imaginait plus. Colorado et Sollima n’ont pas que leur discours pour extraire le film de la banalité. Pour son premier western le metteur en scène fait preuve d’une maitrise impressionnante. Sens du cadre, du montage, stylisation des scènes portées par une musique d’un Morricone toujours des plus inspirés. Elle passe de l’épique d’une confrontation, au lyrisme, à la douceur, à la fougue, sans cesse en collant à l’image, à ce qui est raconté et montré. Chaque instant de Colorado, renferme son lot de surprises, de rebondissements, de péripéties et de règlements de comptes. La montée en tension progresse et porte vers un triple final, trois duels qui voient s’affronter les personnages dans un dernier jet de violence. La main sur le révolver, les doigts sur le couteau, la goutte de sueur sur le visage, le cœur qui palpite, en une fraction de seconde celui qui dégaine le plus vite. La loi du plus fort sort victorieuse. Dans sa trilogie de westerns, Colorado ouvre le champ pour que Sollima exprime son cinéma, qu’il dévoile ce qui l’anime et l’emmène vers la perfection d’un Dernier face à face.
Colorado de Sergio Sollima, avec Lee Van Cleef, Tomás Milián, Walt Barnes… 1h30.
Sorti le 4 juin 1969.
[…] Morricone, alors que ce dernier y a participé. Cette fin de tryptique offre une fausse suite à Colorado, là où Le Dernier Face à face proche thématiquement mais à l’écart au niveau de ses […]