Bird

[CRITIQUE] Bird : The animal kingdom

En seulement six films, Andrea Arnold s’est imposée comme une réalisatrice au regard plein de tendresse envers des personnages malmenés par la vie. Si elle s’en était un peu éloignée avec Cow il y a deux ans – un documentaire suivant le quotidien d’une vache -, elle y revient avec Bird , où elle insuffle la même envie de dessiner un portrait féminin fort, libre et sauvage, qui rejoint Star d’American Honey ou Mia de Fish Tank.

Ici, nous faisons la connaissance de Bailey (Nykiya Adams), une adolescente errant sur un pont au-dessus des voies ferrées avec pour seul compagnon une mouette qu’elle filme avec son téléphone. Ce calme est écourté par l’arrivée de son père Bug (Barry Keoghan) juché sur sa trottinette électrique, écoutant sa musique comme si personne n’existait,  arborant des tatouages de la tête aux pieds et traînant avec lui une grenouille dont la bave aux vertues hallucinogènes est pour lui signe de richesse. Les voilà tou·tes deux dévalant les rues de Dartford à pleine vitesse. La caméra capture quelque chose : la beauté dans la liberté que dégagent ces plans ; la tristesse dans le regard de Bailey habituée aux frasques et idées farfelues de son père qui mènent rarement à quelque chose de concret. Par de gros plans sur les visages, les expressions et les gestes, Andrea Arnold se concentre sur les émotions et les sentiments de ses personnages. 

Nous verrons souvent Bailey s’enfuir de chez elle et utiliser son téléphone pour filmer l’autour – surtout des oiseaux – comme un échappatoire à cette réalité dans laquelle elle doit survivre. Ce système de défense, réitéré après une énième dispute au sujet du mariage de son père avec sa nouvelle conquête, l’amène à rencontrer Bird (Franz Rogowski). Un drôle de personnage dans son accoutrement, sa gestuelle et sa façon de parler qui donne l’impression qu’un enfant de 10 ans est coincé dans un corps adulte. La relation qui se noue entre elleux se développe autour d’une imagerie bien précise : une mouche tente de sortir de la chambre, un papillon se dépose sur la main de Bailey… Ces petits animaux épris de liberté prennent soudainement tout le cadre à l’instar du visage de Bailey ou des autres protagonistes présent·es, elleux aussi à la recherche d’une liberté qui semble inaccessible.

Bird
Copyright Atsushi Nishijima

La liberté, c’est ce qui caractérise le film mais également tous les personnages présents. Sans jamais les juger, Andrea Arnold préfère dessiner des hommes et des femmes qui ne vivent pas sous le joug du jugement : Bug écoute sa musique à fond, Bailey se coupe les cheveux malgré l’interdiction de son père, son frère et ses copains se lancent dans une vendetta contre les mauvais parents… Tous leurs choix sont toujours entièrement assumés même si la plupart sont faits sous le coup de l’impulsivité, comme s’il y avait cette urgence de vivre avant que tout ne s’arrête. Dans un monde désespéré, tout est bon pour se raccrocher à un petit quelque chose. C’est ce qui nous permet de nous attacher à tous les personnages qui apparaissent comme hostiles aux premiers abords : la nonchalance de Bug cache un amour profond pour ses enfants et sa future femme, l’impulsivité d’Hunter n’est que la conséquence d’une soif de justice…


Derrière cette poésie, Andrea Arnold n’oublie pas d’inscrire son film dans une réalité sociale et économique. Dès le départ, on nous présente l’espace de vie de Bailey et ses proches, bien nombreux : un squat meublé avec les moyens du bord. Un peu plus tard plus tard, on apprend que la mère de Bailey vit à quelques kilomètres dans une maison guère mieux que celle du paternel, aux côtés d’un homme violent qu’elle ne quitte pas par peur de représailles. Sans appuyer son propos à travers des scènes larmoyantes, la réalisatrice nous fait comprendre le cadre de vie dans lequel Bailey est censée grandir et fait apparaître Bird comme un ange gardien. Avec cette arrivée, Arnold convoque tout un pan fantastique qui n’est pas sans rappeler Le règne animal lorsque Bird prend vie pour devenir un oiseau. Produit de l’imagination de Bailey ? Être surnaturel ? Aucune réponse ne nous est donnée, le/la spectateur·ice est libre de choisir l’interprétation qu’iel veut. Ce qui prime ici, c’est la poésie qu’offre ce personnage à travers de belles envolées fantastiques et lyriques (sa transformation, ses moments de danse où il tournoie sur lui-même comme si plus rien n’existait autour de lui…). Il permet d’écraser la fatalité inhérente au destin de cette famille, de faire naître une lueur d’espoir finale sur Bailey, bien plus libre qu’elle ne pouvait se l’imaginer.

Bird écrit et réalisé par Andrea Arnold. Avec Barry Keoghan, Franz Rogowski, Nykiya Adams… 1h59

Film présenté en compétition officielle au festival de Cannes 2024.

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