Après le très remarqué Les Combattants en 2014, le deuxième film de Thomas Cailley s’est fait attendre. Il revient avec un récit d’anticipation subtil pour évoquer la question de la monstruosité à travers une relation père – fils aussi réussie qu’haletante.
François (Romain Duris) est cuisinier et élève seul son fils Emile (Paul Kircher), sa femme étant soignée pour une étrange pathologie. En effet, la société doit cohabiter avec des créatures d’un nouveau genre : des humains qui mutent sans raisons apparentes. Lorsque sa femme s’échappe de son unité de soins, François embarque son fils pour la retrouver.
Thomas Cailley est un homme d’espace, il l’avait déjà fait remarquer avec Les Combattants, road movie vitaminé entre Adèle Haenel et Kevin Azaïs, et le remontre ici. Les deux films se basent sur la rencontre entre la nature à l’état sauvage et l’Homme. Dans le Règne animal, l’Homme peut devenir sauvage à cause des mutations, mais également par le regard des autres. Le réalisateur reprend une thématique bien traitée dans les deux premiers films de la franchise X-men : l’intégration de la/des différences dans nos sociétés et le non-contrôle humain. Dès le début du film, les personnes en mutation sont parquées dans des centres spécifiques ou, plus tard, chassées dans la forêt. Cette dérive du contrôle compulsif chez l’Homme amène les personnes différentes (de la “norme établie”) à n’être caractérisées que par cela. Thomas Cailley arrive à montrer cela juste dans le prologue et les premières scènes lorsque François et Emile rendent visite à l’épouse/la mère en mutation et lorsque cette dernière s’échappe. La frontière entre le monde des humain·es et les mutant·es est clairement établie et c’est une catastrophe quand le deuxième pénètre sur le territoire du premier.

Tous les personnages en mutation sont décrits comme des monstres, des animaux par les autres, comme si tout ce ne qui pouvait pas être contrôlé (voire dompté) ne relevait que de la sauvagerie pure. Emile est un peu les yeux du/de la spectateur·ice, tout passe par son regard, si important pour la suite du récit car le Règne animal est aussi un film sur la famille au sens stricte et large. François et Emile sont en constante opposition sur la question de la différence physique et du combat moral alors que la mutation n’est pas synonyme de changement. Emile se sent bien plus proche de certain·es mutant·es que de son père ou d’autres Hommes. Thomas Cailley joue habillement sur les regards entre les deux, il ne fait pas de cette différence physique quelque chose de contre-nature. Si bien que tous les moments entre Fix (un mutant) et Emile paraissent presque bien plus humains que les échanges entre François et Julia (Adèle Exarchopoulos), une policière, qui échangent des banalités alors que les deux jeunes font ressortir pleinement toutes leurs émotions (l’amour, la tristesse, la colère) lorsqu’iels sont ensemble.
Techniquement plus que réussi avec un mélange d’animatronique, de maquillage et d’effets spéciaux pour les mutant·es, le film ne se manque pas au moment de nous faire croire à son univers visuel et sonore. Paul Kircher est glaçant et perturbant dans un rôle aussi hybride que les mutant·es autour de lui (mention spéciale à Tom Mercier, épatant en homme-oiseau) alors que certains manquent un peu de profondeur ou de réels enjeux (comme celui d’Adèle Exarchopoulos). Le cinéaste et Pauline Munier (co-autrice du scénario) parviennent à dresser un portrait froid, sombre mais réaliste sur la question de la tolérance à l’échelle humaine. La plus grande force est également de ne pas avoir voulu faire un film survivaliste et manichéen entre deux oppositions mais plutôt sur une union imparfaite entre deux entités distinctes qui peuvent cohabiter. Sans porter de jugements sur ces personnages, au pire ignorants, le film rappelle que la tolérance et l’empathie sont des notions individuelles mais aussi collectives à travers des règlements, des lois ou des traités d’une collectivité. Sauf que tout ce qui découle des décisions étatiques sont les actions policières répressives et non pédagogiques, comme pour souligner que dans un monde alternatif (où la question de monstres physiques ou morales peut se poser) ou dans la réalité, la phrase de Nietzsche « L’État est le plus froid des monstres » demeure d’actualité.
Le Règne animal réalisé par Thomas Cailley. Écrit par Pauline Meunier et Thomas Cailley. Avec Romain Duris, Adèle Exarchopoulos, Paul Kircher… 2h10
Sortie en salle le 4 octobre 2023