Éva vit totalement coupée du monde extérieur depuis des années et vit en autarcie dans son appartement totalement stérile, dénué de vie et dont les fenêtres ne s’ouvrent même pas. Pour se déplacer hors de son habitacle, elle est obligée de porter une combinaison d’astronaute afin de se protéger de l’environnement. Pourquoi ? Parce qu’elle est littéralement allergique à… quasiment tout. Respirer l’air ambiant lui provoque des crises de paniques et des allergies cutanées assez impressionnantes. De cette vie de prisonnière, elle ne côtoie que son frère Gyuri et le personnel d’un centre qui fait régulièrement des tests sur elle pour connaître l’origine de son mal. Son quotidien est bouleversé par l’arrivée d’András, un psychiatre engagé par une compagnie en procès pour savoir si l’état d’Éva est causé par leurs produits chimiques. D’abord simple relation professionnelle, Éva et András vont se rapprocher, ce qui attire les foudres de Gyuri qui voit l’influence du psychiatre d’un mauvais œil.
À l’heure où le monde entier vit au rythme du coronavirus et ses variants armé de son plus beau masque, Eden a son petit côté anxiogène qui nous rappelle à quel point le monde est déréglé. Même si l’on ne sait pas si les réactions allergiques d’Éva sont dues à son environnement extérieur ou à un problème beaucoup plus profond et psychologique, le constat est là : elle ne vit plus. Enfermée dans un appartement stérile et impersonnel ou dehors armée d’un costume d’astronaute très peu confortable et discret (ce qui offre de temps en temps des scènes aussi absurdes que drôles), la folie semble s’emparer d’elle, ce qui rend le propos encore plus troublant : est-elle vraiment allergique à tout ou est-ce ce conditionnement qui l’a rendu ainsi ?
András quant à lui devait seulement venir quelques semaines le temps d’établir un rapport. Au fur et à mesure des séances, une relation de confiance se crée entre eux. Alors qu’Éva vivait sous le joug de son frère dont elle était totalement dépendante, elle découvre une autre façon de vivre et de penser. Elle devient de plus en plus indépendante. Son frère refuse de lui acheter une tortue de compagnie ? Qu’à cela ne tienne, elle enfile sa tenue et part en acheter une. Mais être enfermée ainsi peut-il vraiment s’apparenter à une vie normale ? C’est là qu’Éva doit se poser les bonnes questions pour prendre des décisions radicales, peu importe les conséquences.
Agnes Kocsis nous offre sur quasiment 2h30 une oeuvre assez dense et, paradoxalement, très épurée. Que ce soit dans la mise en scène, les décors ou même encore les dialogues. Le spectateur est invité à observer une période charnière de la vie d’Éva : la prise d’indépendance de quelqu’un dont la vie a été régie pendant des années par les autres. Lana Baric donne corps à cette jeune femme solitaire et perdue dont l’amour sera peut-être la porte de sortie. Cependant, loin de tomber dans l’optimisme, Eden est également le portrait d’une société, d’un monde voué à l’échec alors que la pollution des entreprises se fait de plus en plus présente et que les autorités supérieures ne font rien pour endiguer le problème.
Ne soyez pas rebuté par la longueur du film, car Eden est un portrait aussi beau que fascinant. Un état du monde, de la société et de l’homme dont l’une des seules lueurs d’espoir est l’amour qu’on peut porter autant à soi qu’aux autres.
Eden de Agnes Kocsis. Avec Lana Baric, Daan Stuyven, Lóránt Bocskor-Salló… 2h33