Zana : Femme objet

Film pré-selectionné pour représenter le Kosovo aux oscars (mais qui n’a pas passé l’épreuve de la shortlist), Zana est un brillant drame qui évoque autant les traumatismes de guerre que le deuil.

Au fin fond de la campagne du Kosovo, Lume vit avec son mari et sa belle-mère dans une petite ferme modeste. Un drame plane cependant sur cette famille. Alors qu’elle n’a pas encore fait le deuil de sa petite fille de quatre ans morte pendant la guerre, son mari et (surtout) sa belle-mère la poussent constamment à avoir un autre enfant. Malheureusement cette dernière n’arrive pas à retomber enceinte. Malgré plusieurs rendez-vous chez le médecin, rien n’y fait. Sa belle-mère prend les devants en l’emmenant voir une espèce de « chaman », qui lui annonce que Lume est possédée par un jinn, sorte d’esprit qui l’influence sans qu’elle ne s’en rend compte. Petit à petit, la folie semble gagner Lume dans des cauchemars de plus en plus sombres alors que la pression sur ses épaules se fait de plus en plus forte.

Zana | Haifa 37th International Film Festival

Le Kosovo fait partie des derniers arrivés dans l’industrie cinématographique et il est encore très rare de voir des films s’intéresser d’aussi près à sa culture. Un mode de vie extrêmement paradoxal où cohabitent smartphones et vidéos Youtube d’un côté et superstitions et croyances en sorcières et démons en tout genre de l’autre. Lume est vue par tout le monde comme une machine à faire des enfants. Leur fille est morte ? Qu’à cela ne tienne, il faut rapidement faire un autre enfant et de préférence un fils ou alors on recommandera gentiment au mari de se trouver une femme plus jeune pour procréer. Si elle est incapable de tomber enceinte c’est qu’il y a forcément un problème, un mauvais esprit ou un démon qui a pris possession de son corps. Tandis que tout le monde plonge tête baissée dans des superstitions débiles, Lume sombre dans des cauchemars où elle revit inlassablement la mort de sa fille. Si elle ne peut pas procréer de nouveau c’est probablement que quelque part elle n’a pas encore fait son deuil, on ne lui en a pas donné l’occasion.

Le film vogue entre contemplation la jour et horreur la nuit. Les séquences horrifiques sont assez intelligentes pour ne pas tout dévoiler tout en gardant cette aura mystérieuse avec sa musique quasi mystique et ses protagonistes toujours masqués. La réalisatrice prend des airs de Terrence Malick avec ses grands angles et cette façon lancinante de suivre son personnage principal totalement perdu dans un monde qui n’est plus le sien depuis longtemps. Adriana Matoshi impressionne de par la présence qu’elle impose avec un regard jusque dans une scène finale forte en signification et esthétiquement sublime.

Zana est un cri, celui de toutes les femmes kosovares qui ont perdu quelqu’un lors de la guerre mais aussi celui d’une population qui n’a pas soigné ses traumatismes de guerre. Dans un écrin esthétique maîtrisé, Antoneta Kastrati nous prouve que le Kosovo a de la réserve et déjà de sacrés talents dans sa besace.

Zana de Antoneta Kastrati. Avec Adriana Matoshi, Astrit Kabashi, Fatmire Sahiti… 1h32

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