Juillet 1995, la Bosnie-Herzégovine voit se dessiner une page sombre de son histoire. Plus de 8 000 hommes et adolescents bosniaques ont été massacrés durant la guerre de Bosnie-Herzégovine. C’est dans ce contexte – et en s’inspirant de ces faits – que Jasmila Zbanic pose sa caméra pour filmer son héroïne (fictionnelle) Aida.
C’est le 11 juillet 1995 que l’armée serbe prend le pouvoir dans la ville de Srebrenica jusque là protégée par l’ONU. Dans ce camp, Aida est une ancienne professeure d’anglais qui fait désormais office de traductrice pour les Nations Unies. Ayant accès à des informations cachées du public, elle comprend rapidement que toutes les personnes présentes dans ce camp courent un grave danger, y compris ses deux fils et son mari, également présents. Son seul but désormais est de les sauver d’une mort certaine tout en continuant d’être spectatrice d’une tuerie annoncée.
![Venise 2020] “Quo vadis, Aïda?” de Jasmila Zbanic | Angle[s] de Vue](https://i2.wp.com/www.anglesdevue.com//srv/htdocs/wp-content/uploads/2020/09/58218-QUO_VADIS__AIDA_-_Official_still__3_.jpg?fit=1800%2C973&ssl=1)
La réalisatrice réussit à mêler grande et petite histoire dans son récit. La première partie se concentre sur Aida, seule femme à avoir un poste dans ce hangar tenu par des hommes militaires de l’ONU. Elle court dans tous les sens, répond aux interrogations des habitant·e·s comme elle peut, traduit, écoute, renseigne et observe. Une véritable femme de terrain sur tous les fronts qui se trouve avec un rôle compliqué : pas totalement victime mais pas totalement protégée non plus par sa fonction.
À côté de son histoire personnelle, c’est une plongée aussi captivante qu’effrayante dans les rouages qui ont mené à ce massacre. Tout partait bien lorsque Srebrenica est proclamée ville sécurisée grâce à l’armée hollandaise et son campement dirigé par l’ONU. Malheureusement, les problèmes s’accumulent et le camp ne peut plus accueillir tout ce monde. La situation prend une tournure encore plus dramatique lorsque l’armée serbe prend le contrôle de la ville. Grâce à quelques manipulations tordues, le général Ratko Mladi? règne désormais en maître et envoie toute la population dans des bus direction une autre ville où elle sera prise en charge. La suite, on ne la connaît que trop bien, les bus n’arrivent jamais à destination. Une fin tragique filmée avec énormément de pudeur, tout en suggestion.
Jasmila Zbanic s’empare de ce fait d’histoire pour rendre hommage aux hommes et aux femmes qui ont tout fait pour survivre et y insuffle un aspect d’autant plus tragique avec l’histoire d’Aida. Même s’il s’agit d’une pure fiction sur cet aspect, il n’en reste pas moins ce sentiment de survie inhérent à la situation, nous laissant largement imaginer ce qu’ont pu ressentir bon nombre de familles séparées. Sa mise en scène précise offre de très beaux plans sur Aida, plongée dans cet enfer coincée derrière ces grillages de fer. Sa structure narrative est claire, permettant de s’immerger autant dans la grande que la petite histoire. Le dernier segment quant à lui est un véritable hommage à toutes ces femmes encore vivantes. Une scène dans un gymnase d’école lors d’une représentation d’école montre Aida souriante tout comme d’autres femmes rescapées de ce massacre. La vie reprend son cours mais les visages sont encore marqués par la perte d’un mari, d’un frère, d’un fils…
Ne jamais oublier, c’est ce que nous crie Quo vadis, Aida ? d’ailleurs traduit intelligemment par La voix d’Aida. Un film de guerre mais qui fait également son devoir de mémoire. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’il est sélectionné aux prochains Oscars dans la catégorie Meilleur film étranger. Et bien qu’on a un gros faible pour Drunk, ça nous déplairait pas de le voir gagner la statuette dorée.
Quo vadis, Aida ? de Jasmila Zbanic. Avec Jasna Djuricic, Izudin Bajrovic, Boris Ler… 1h44