Première série dérivée de Game of Thrones, House of the Dragon raconte l’histoire de la guerre civile la plus meurtrière de l’histoire de Westeros, la Danse des Dragons, opposant deux branches de la famille Targaryen dans leur course au Trône de fer. La première saison réunit un casting composé entre autres de Matt Smith, Paddy Considine, Olivia Cooke ou Rhys Ifans. Malgré l’échec critique cuisant des deux dernières saisons de sa série mère, House of the Dragon offre à son audience une excellente introduction dans la décadence des Targaryen, près de 172 ans avant la naissance de Daenerys. Entre conflits familiaux, place des femmes, inceste et dragons, cette première saison réjouit et sonne comme un retour de la qualité tant narrative que visuelle des premières saisons de Game of Thrones.
S’ouvrant sur la proclamation de Rhaenyra Targaryen comme héritière du Trône de fer, House of the Dragon met les femmes au centre de son intrigue dès les premières minutes. C’est un euphémisme que de qualifier de douteuse la représentation des personnages féminins dans Game of Thrones, tant ces derniers semblent être touchés de plein fouet par le male gaze : viols, nudité gratuite et violences diverses. House of the Dragon s’inscrit dans l’ère post-me too, ce qui profite grandement à l’intrigue, notamment à la relation entre Rhaenyra et Alicent. Alors que Rhaenyra semble vouloir créer un nouveau système plus égalitaire grâce à son statut privilégié, Alicent, que l’on peut prendre pour une antagoniste au premier abord, décide d’y adhérer pleinement pour la simple et triste raison qu’elle n’a rien connu d’autre de sa vie. Son père Otto lui a tellement répété que sa seule fonction est de produire des héritiers pour le royaume qu’elle le croit et choisit de se battre pour un système qu’elle se leurre mais qui au final bénéficie à tou·tes sauf à elle. Alicent n’est au fond qu’une victime, éternellement cette enfant de quinze ans mariée à un homme de deux fois son aîné et regardant toute possibilité d’amour ou de joie lui être arrachée alors que Rhaenyra y a droit et reçoit la couronne : l’animosité est compréhensible. Alicent est seule, abusée par tou·tes et se rattache à ses enfants.

Ayant l’avantage de s’étaler sur près de trente ans, la première saison aborde également les sujets de l’hérédité et du traumatisme intergénérationnel, ou comment nous détruisons nos enfants, consciemment ou pas. Chaque enfant est pris malgré elle/lui dans les conflits de ses parents et c’est cette incapacité à les laisser en dehors de ces querelles qui déclenche réellement la guerre. La série rappelle sans cesse à son audience qu’il s’agit de l’histoire d’enfants, et après les avoir vu échanger des coups de pierre et de couteaux dignes des adultes qu’iels ne sont pas, on les voit se chamailler sur l’origine de la dispute devant un Viserys dépité, regardant les gens qu’il aime s’entredéchirer sans ne pouvoir rien faire. C’est à ce moment, lorsque la haine des parents atteint le cœur des enfants, que l’irréparable semble commis : il n’y aura pas de retour en arrière.

Les scènes de violence ne semblent jamais gratuites et tiennent pour la plupart non dans le viol, le meurtre ou les effusions de sang. C’est au contraire dans la maternité qu’elles trouvent leur ton, les naissances étant si réalistes et souvent si crues qu’elles en deviennent plus dures à regarder que les séquences de batailles. La violence et le sexe, non plus gratuits, deviennent un outil servant le développement des personnages, au même titre que le dialogue ou la réalisation. On remarque d’ailleurs très bien cela lorsque Viserys (exceptionnel Paddy Considine) décide de condamner sa femme à une mort certaine pour sauver son bébé sans qu’aucun choix ne lui soit donné. Le montage alterne entre le tournoi qui se passe dehors et la véritable boucherie que subit Aemma, démontrant très bien la vanité de la violence causée par les hommes à tous niveaux. Appuyé par une esthétique plus luxueuse et flamboyante que celle de Game of Thrones, on assiste à la culminance de la gloire des Targaryen et à leur chute inévitable, ces Targaryen qui perdent de leur superbe à mesure que les évènements s’enchaînent. Malgré quelques scènes cédées au grand spectacle, la série semble toujours rappeler à son audience la nature animale de ces créatures comme dans la scène qui voit Lucerys dévoré vivant par Vhagar, le dragon d’Aemond.
Subtile, la mise en scène laisse énormément d’espace aux acteur·ices et la série ne se démarque pas particulièrement par des mouvements de caméras impressionnants. Tout est toujours très statique, particulièrement dans les longues scènes de dialogues, ce qui est nécessaire pour comprendre la dynamique entre les personnages à l’écran. Cette subtilité se concentre sur le visage de ces acteur·ices ainsi que les non-dits apportés par leurs jeux de regards. Le rapport de la mise en scène à la religion est également intéressant ; tou·tes les Targaryen sont constamment dans la lumière, magnifié·es par le luxe les entourant, lorsque d’autres familles comme les Hightower sont réduites aux pièces cloisonnées et sombres. Tout est fait, de la façon dont ces personnages occupent l’espace à la couleur même de leurs vêtements, pour montrer leur opposition. L’exemple est tout trouvé : le couronnement de Rhaenyra a lieu à l’air libre, au sommet d’une montagne et les mouvements de caméra qui s’en suivent visent à la placer au-dessus de l’assemblée qui l’accompagne. La proclamation d’Aegon a lieu dans la Fosse aux Dragons, un lieu sombre et mal éclairé, sale et bruyant, sans aucune élévation de sa personne.

En dix épisodes, House of the Dragon parvient à se distancer des erreurs et faux-pas de sa série-mère en approfondissant les questions sur le bien et le mal déjà posées dans cette dernière tout en y ajoutant une réflexion nécessaire et admirablement bien construite sur la place des femmes dans les lieux de pouvoir ainsi que les traumatismes intergénérationnels. Magnifiée par une mise en scène et un jeu d’acteur·ice subtil·e, la série semble annoncer le grand retour d’une qualité longtemps égarée dans l’univers de George R.R. Martin, si cependant, cette qualité reste au rendez-vous dans la saison 2, annoncée pour l’instant pour l’été 2024.
House of the Dragon créé par George R.R. Martin et Ryan J.Condal. Avec Paddy Considine, Emma d’Arcy, Olivia Cooke.
10 épisodes de 60-65 minutes.