Pour ce qui est des comédies, qui plus est romantiques, on ne présente plus Ernst Lubitsch qui en est quasi-incontestablement le maître. Sa capacité à toucher autant qu’à faire rire tout en développant des messages forts, dépassant largement le cadre de la simple histoire d’amour, est ici avec Rendez-vous plus que jamais démontrée.
Adaptant la pièce Parfumeries de Miklos Laszlo, il nous envoie à Budapest suivre la vie d’une petite boutique de maroquinerie, pendant la période de Noël, où travaillent Alfred Kralik (James Stewart) et Klara Novak (Margaret Sullivan). Ceux-ci ne s’entendent pas mais correspondent par le biais des petites annonces. Alfred découvrant que sa mystérieuse interlocutrice n’est autre que Klara fait tout pour se faire aimer sans gâcher leur petit jeu de lettres. Lubitsch est aussi bon metteur en scène qu’auteur et il dévoile ici l’étendue de ses qualités dans les deux domaines pour offrir une histoire d’amour délicieuse. Il n’y a pas d’autre mot que « régal » pour évoquer ce petit bijou de romcom dont chaque réplique est savoureuse et chaque séquence parfaitement agencée pour jouer avec les sentiments du spectateur tout en évoquant des questions sociales ou morales. Lubitsch ne se contente pas de parler de l’amour de deux êtres qui sont plus proches qu’ils ne le croient, il pro?te de la galerie de personnages présents dans la boutique pour traiter de thèmes encore assez peu mentionnés dans le cinéma de l’époque comme l’adultère ou le chômage. Ce faisant, il ancre parfaitement son propos dans la réalité et on croit facilement à ce qui nous est présenté. L’engagement pour les protagonistes étant appuyé, l’implication émotionnelle n’en est que plus forte.

Mais quid des deux tourtereaux émoustillés par leur relation épistolaire mais qui peinent à se retrouver alors que leurs quotidiens respectifs sont marqués de regards croisés ? Lubitsch fait preuve d’une grande habileté et fait de Klara Novak bien plus qu’un simple intérêt amoureux pour Alfred. Elle occupe l’écran au même titre que lui et leurs interactions, au cœur du ?lm, rythment celui-ci. La réalisation se permet de très beaux moments comme une séquence dans un bar où la mise en scène, alliée aux lignes de dialogues cinglantes que s’échangent les deux collègues, crée une situation hilarante bien que frustrante du fait que nous ayons connaissance du quiproquo qui règne. Il faut préciser que la relation Stewart-Mulligan, tous deux icônes du vieil Hollywood, traduit une grande alchimie et les deux se répondent du tac-o-tac avec un charisme ébouriffant.
On a là une œuvre sur la rencontre entre deux personnes que tout oppose en théorie mais que l’esprit rapproche inévitablement. Un ?lm aussi qui montre que ce qui compte, bien plus que la récompense ?nale, c’est le chemin à parcourir et le développement du personnage de James Stewart en est le parfait exemple, lui qui se soumet indirectement à l’amour qu’il éprouve pour sa charmante et brillante collègue. Si on ajoute à cela la modernité du propos sur la société ainsi que dans la gestion du rôle féminin, on ne peut pas être plus sûr que l’on est face à l’une des toutes meilleures comédies romantiques jamais faites. On peut noter que le succès et la réussite intrinsèque de ce métrage est tel qu’il a inspiré Nora Ephron a adapter la même pièce pour son Vous avez un message mais si l’on ne devait retenir qu’un seul « shop around the corner » en période de Saint-Valentin, c’est bel et bien celui d’Ernst Lubitsch, un cupidon du septième art comme on en fait plus.
Rendez-vous, réalisé par Ernst Lubitsch. Écrit par Samson Raphaelson et Ben Hecht. Avec Margaret Sullavan, James Stewart, Frank Morgan… 1h39
Film de 1940, sorti le 10 août 1945