Le Brésil détient un triste record : le pays compte le plus de personnes transgenres assassinées chaque année. Des meurtres qui sont parfois même filmés et relayés sur les réseaux sociaux (en 2017, la vidéo d’une femme transgenre torturée et exécutée d’une balle dans la tête a fait le tour des médias). Pour mettre en scène ce sordide fait, Madiano Marcheti prend le pari de proposer un film où la victime n’est jamais là mais dont la mort affecte les personnes qui l’ont côtoyée de près ou de loin.
Le corps sans vie de Madalena gît dans un champ de soja. Qui l’a assassinée ? Le film n’est pas là pour nous donner de réponses. En parallèle, Luziene tente de joindre les deux bouts avec sa mère dans un quartier pauvre, Cristiano doit prouver à son père qu’il est capable de reprendre l’exploitation familiale et Bianca profiten d’un après-midi au bord d’un lac avec ses amies. Ces personnages ne semblent rien à voir en commun et pourtant ils auront tous chacun·e à leur façon été touché·e·s par la mort de Madalena.
La scène d’introduction nous offre un Brésil paradisiaque entre ses forêts chatoyantes, ses champs de soja à perte de vue et puis, au fur et à mesure, une ambiance étrange s’installe. De curieux drones survolent les champs, nous ramenant à une société résolument plus moderne alors qu’à quelques mètres de là des gens vivent dans des logements insalubres. Luziene rend plusieurs fois visite à Madalena sans succès. Elle a disparu sans laisser de traces. Les circonstances de sa mort sont floues. Elle laisse derrière elle un chat, des affaires et des souvenirs qu’un groupe de jeunes femmes (pour la plupart transgenres) – mené par la pétillante Bianca – se remémore pendant qu’elles font le tri dans ses affaires. Malgré le sujet bouillonnant, le réalisateur emploie une douceur déconcertante. Cristiano n’en a que faire qu’un corps sans vie ait été retrouvé dans un de ses champs, ni même de savoir qui ça peut bien être, la seule chose qui l’inquiète c’est la réaction de son père. Lui qui est censé reprendre l’exploitation de champs de soja, comment va-t-il faire pour gérer cet incident ?
Madalena élargit habilement son propos politique lorsqu’il s’agit d’afficher les disparités entre riches et pauvres. De ces groupes de personnes vivant avec si peu de moyens alors qu’à quelques mètres de là de riches familles conduisent de belles voitures et contrôlent des drones hors de prix. Tout en n’omettant jamais Madalena dont le fantôme semble hanter chaque lieu. Lle réalisateur ne cède jamais à la facilité de surligner son propos à coups de grandes envolées lyriques sombrant dans un pathos gluant et préfère laisser le spectateur faire le travail. À lui de comprendre au fur et à mesure du film les tenants et les aboutissants et à faire les parallèles entre les différents personnages.
Quand personne ne s’y attend, il nous met un coup de massue dans un dernier acte d’une beauté et d’une douceur incroyable. Nous suivons ces jeunes femmes dans une virée en voiture. Le temps d’un instant, sur ces routes rocailleuses à travers les champs de soja, elles se rêvent à une vie meilleure, à devenir mère, reprendre leurs études, offrir de quoi démarrer la carrière de coiffeuse d’une amie… Leur statut transgenre n’est jamais mis en avant pourtant on devine facilement que la vie ne compte pas leur laisser de cadeau pour autant, surtout vu la situation au Brésil évoquée plus haut. Le film se clôture cependant sur une note d’espoir, une parenthèse de bonheur lorsqu’elles profitent de leur journée au bord du lac. De simples moments de vie qui nous rappellent que le danger peut rôder à n’importe quel moment.
Madalena de Madiano Marcheti. Avec Natália Mazarim, Rafael de Bona, Pamella Yule… 1h25