Dès demain en salles, le nouveau long-métrage de Julia Solomonoff Nobody’s Watching est un portrait intimiste d’un homme en perte d’attention et qui tente tant bien que mal de se reconstruire une nouvelle carrière à New-York. Un film personnel pour la réalisatrice argentine qui a quitté son pays natal il y a de ça vingt ans pour s’installer aux Etats-Unis. Onsefaituncine a rencontré Julia Solomonoff lors de son passage à Paris pour la promotion du film.
- Votre dernier film (Le dernier été de la Boyita) est sorti en 2010. Pourquoi avoir attendu huit ans pour sortir un nouveau film ?
Ça prend du temps de faire un film et c’est plus difficile quand on change de pays. En 2009 j’ai quitté l’Argentine pour m’installer aux Etats-Unis, j’ai deux enfants et j’ai fait quelques documentaires pour la télévision. On a commencé ce film (ndlr Nobody’s Watching) en 2013 donc ça a pris du temps. C’était compliqué de trouver les financements nécessaires car ce n’était pas un film argentin mais ce n’était pas non plus un film très proche des idées du marché américain alors il a fallu combiner fonds privés et fonds publics.
- Nobody’s Watching est un triste constat autant pour votre personnage principal Nico qui débarque à New-York pour tenter une nouvelle carrière d’acteur mais qui n’arrive pas à ses fins que pour cette minorité d’immigrants qui doit apprendre à s’intégrer et qui n’y arrive pas. Vous même vous avez quitté l’Argentine pour venir à New-York, jusqu’à quel point vous avez mis de votre expérience personnelle dans ce film et dans le personnage de Nico ?
Ce film est très personnel. C’est un film qui parle de mes premières années à New-York. Je suis arrivée à New-York et comme n’importe qui j’ai eu l’impression que je pouvais appartenir à cette ville très ouverte et libre mais quand on y reste un peu plus longtemps on a du mal à trouver sa place à New-York. Nico est pareil dans le film et le film en lui-même a cette même idée. Ce n’est pas un film américain, ni argentin. Est-ce que c’est un film gay ? Un film de femme ? C’est un peu tout à la fois sans jamais que l’un prenne le pas sur l’autre.
- Il y a aussi cette notion d’émancipation pour Nico que ce soit de son pays, son ex petit-ami et la série à succès dans laquelle il jouait notamment lorsque dans le parc les baby-sitters pensent le reconnaitre et il nie catégoriquement. Est-ce qu’on peut réussir dans le monde du cinéma en reniant ses origines ?
Le cinéma a un rapport très fort avec l’identité culturelle. C’est ce que j’aime dedans. Je me méfie toujours quand on parle de film “universel”. L’histoire peut être universelle mais elle a forcément quelque chose qui se rapporte à une culture. Je pense que beaucoup de gens peuvent s’identifier à Nico même des gens qui vivent dans d’autres villes pas forcément New-York parce que le film raconte cette sensation d’être étranger, de se sentir en dehors autant de la ville que de soi-même.
- Guillermo Pfening qui joue Nico est merveilleux. Il arrive à être à la fois charismatique mais aussi extrêmement vulnérable. Est-ce que vous avez tout de suite pensé à lui quand vous avez écrit le rôle de Nico ?
Oui, ça fait déjà quelques années que je connais Guillermo et j’ai commencé à écrire le scénario avec lui en tête. La dernière année avant de tourner le film j’ai même changé le scénario parce que je savais ce qu’il était capable ou non de faire. Par exemple dans les premières versions son personnage parlait beaucoup plus anglais et la mère du bébé était américaine. Guillermo a essayé d’apprendre l’anglais pendant un an mais j’ai senti qu’il n’était pas à l’aise et du coup j’ai décidé d’utiliser la langue comme un obstacle de plus pour son personnage.
- Ce qui est frappant aussi dans le film c’est de voir que l’entourage de Nico réussit mieux que lui que ce soit sa meilleure amie qui a un travail, qui est mariée et vit dans un bel appartement ou encore son ami et ancien partenaire de jeu dans la série argentine dans laquelle il jouait qui est devenu la vedette alors que Nico reste coincé entre deux eaux ce qui va le mener un petit peu à sa perte en quelques sortes. Est-ce ça veut dire que le fait de trop regarder le succès des autres vous empêche, inconsciemment, d’avance et de faire votre propre chemin ?
J’ai jamais vu le film sous cet angle. Je crois que le problème de Nico est qu’il attend toujours que quelqu’un lui porte de l’attention mais surtout Martín – son ex petit-ami -, il dépend de son regard. Il essaie de se montrer en spectacle notamment dans le supermarché. Tout cela l’empêche de se voir, il n’y a qu’à la fin du film qu’il accepte enfin de se regarder, de voir toutes ces facettes qu’il a eu et qui n’étaient que des masques pour se protéger. Il doit accepter l’échec et se rendre compte qu’il ne peut pas toujours se mentir autant à lui-même qu’aux autres.
- Justement vous venez de l’évoquer, Nico a cette peur constante de l’échec mais finalement sa réussite c’est de reconnaître son échec pour pouvoir avancer et je trouve que c’est un message assez fort pour nous surtout dans une société où on nous demande à tout réussir tout de suite. Est-ce que vous aussi lorsque vous êtes arrivés à New-York vous aviez peur d’échouer ?
Bien sûr ! L’idée du succès c’est quelque chose de très New-Yorkais. Tout le monde pense que c’est parce que tu es à New-York que tu vas réussir mais c’est une pression qu’on se met tous les jours et qui peut nous empêcher bizarrement d’avancer et de savoir où on veut précisément aller. Oui je crois que, maintenant encore plus qu’il y a 20 ans que je suis arrivée à New-York, l’idée de succès comme succès public – il y a aussi le succès personnel mais qui n’a pas vocation à être montré aux autres – met énormément de pression et notamment à cause des réseaux sociaux où aujourd’hui on veut tout partager, être reconnu… Sauf que tout ceci est superficiel.
- Votre film est aussi une critique acerbe de l’industrie du cinéma et notamment envers les acteurs latinos qui sont soi-disant à la mode selon cette femme que rencontre Nico mais qui lui dit en même temps durant l’entretient que s’il veut réussir il doit se teindre les cheveux, changer son style vestimentaire et perdre son accent. Est-ce que c’est si compliqué que ça pour un latino de travailler dans le cinéma aux Etats-Unis ?
Oui. Je pense qu’il y a une certaine idée des latinos qui est très stéréotypée. J’ai beaucoup d’amis qui sont de bons acteurs et qui n’arrivent jamais à trouver de rôles parce qu’ils n’ont soi-disant pas le physique pour. L’industrie américaine veut prouver qu’elle se diversifie alors elle met sur une même affiche des gens de toutes les couleurs, je trouve ça assez hypocrite parce que c’est superficiel.
- Nobody’s Watching est aussi un incroyable mélange de cultures entre les langues anglaise, espagnole et un petit peu française. Pourquoi cette envie de diversité et de mixité ?
C’est la façon dont je vis. C’est la façon dont je regarde le monde. Et c’est la seule façon de faire un film comme ça. Ce n’est pas un film américain ou argentin, il a plusieurs identités. Aux Etats-Unis le film est plutôt bien reçu par les critiques mais il y en a une qui m’a marqué et qui disait que le film mélangeait les thèmes de l’immigration, avec celui LGBT mais ce n’est pas que Nico “est” gay, il “est” latino, il “est” un homme, c’est plus fluide et complexe que ça. Quelque fois les américains aiment un peu trop diviser dans des cases bien distinctes. C’est pour ça aussi que je suis heureuse d’avoir eu une équipe avec des gens de différentes nationalités.