Il y a un certain moment de notre vie où l’on se retrouve forcé·e à effectuer une introspection, celle-ci étant le plus souvent douloureuse dans ce qu’elle éveille d’intime. Notre existence nous tend un miroir et nous impose le reflet des regrets, des remords et des années passées sans que l’on ne s’en rende réellement compte. C’est ce traumatisme du temps qui défile auquel nous confronte Edgar Wright avec son Dernier pub avant la fin du monde, conclusion d’une trilogie Cornetto trouvant dans cet aboutissement un arrière-goût plus amer.
Quand on a connaissance des rouages narratifs et visuels d’Edgar Wright, il y a un plaisir non feint de le voir installer ses bases et d’annoncer certains points, quitte à se faire révéler tout le trajet. Mais si l’on diminue régulièrement le travail du réalisateur britannique à de la frime visuelle, des clins d’œil geeks et une forme d’humour pop burlesque, on en oublie ses accents dramatiques pourtant bien ancrés dans l’écriture de ses protagonistes. Aspect appuyé dans The world’s end (titre original bien plus pertinent) que celui-ci dénote dans une trilogie réduite à de la comédie british délurée avec Simon Pegg et Nick Frost. Pourtant, les fils rouges entre cet opus et Shaun of the dead ainsi que Hot Fuzz, bien que fragiles par leurs conceptions même, relèvent plus que de quelques running jokes.
Concernant la dramaturgie des personnages, elle relève de quelque chose de moins conscient à première vue mais dont les drames se lisent dans leurs rapports aux autres. La difficulté de Shaun, Nicholas Angel et ici Gary King est de trouver leur place dans un univers qui les rejette totalement en leur exigeant de s’imposer face à une puissance étouffante démultipliée, de formes d’ordres psychorigides amplifiée par la teneur des événements qui reflètent ces inquiétudes. Ici, le besoin compulsif de Gary de retourner dans un passé où il était roi se voit confronté à l’impossibilité de revenir dans le passé et de refaire exactement ce que l’on attend. Cet aspect se voit épaissi méta-textuellement par l’obligation pour Edgar Wright d’offrir une « suite » à deux films qui, bien que reliés thématiquement, ne se voulaient pas tant être des épisodes suivis. On ne peut pas refaire ce qui est tant aimé dans Shaun of the dead ou Hot Fuzz, même avec une ambition de facilité et de simplification comme ont pu le tenter les studios Disney avec leurs remakes live.
Grandir est difficile. Voir les personnes que l’on aimait réussir là où on a échoué relève de la brisure intime, surtout quand on se rappelle constamment qui on était et qui on était censé être, l’adulte que l’on s’était promis de devenir à notre nous du passé. Tout ce Dernier pub avant la fin du monde tourne autour de cette impossibilité de s’accomplir si l’on se raccroche au passé. L’amertume qui s’y charrie a beau jouer de ses oripeaux de comédie de science-fiction (brillante par le décalque amené), elle se révèle imprégnée dans la narration à un point où on ne peut l’en dissocier de l’humour créé par le décalage entre Gary, ses amis et l’univers même qui se retourne dans son village d’enfance.
Mais que les personnes qui y vont avec l’envie d’avoir du très bon divertissement ne regrettent guère leur choix tant Edgar Wright sait comment imploser de l’intérieur le microcosme britannique avec une ambition folle. On pense ainsi aux séquences de combats, d’une telle lisibilité qu’elles devraient être utilisées en tant que leçons de mise en scène dans le domaine de l’action. Le travail des chorégraphies est mis en valeur avec un impact certain tout en faisant usage de plans-séquences qui ne résonnent jamais comme factices. De plus, le réalisateur rappelle qu’une bagarre n’a pas à être un frein dans la narration mais doit justement souligner l’avancée de ses protagonistes, ce qu’il fait avec un brio relatif à toute sa filmographie.
L’écriture référentielle se fait plus discrète même si elle reste présente et parvient à charrier la même révolte d’un homme contre un système social étouffant, quitte à ce que le nouveau régime puisse s’avérer tout aussi implacable. On l’avait vu avec Shaun of the dead (les zombies sont intégrés de manière moqueuse dans une réalité reprenant un tour faussement normal) et Hot Fuzz (la fausse utopie et vraie auto-justice laisse place à une ville-état policière) mais The world’s end le reprend de manière plutôt surprenante, ce qui explique que nous vous laisserons découvrir le tout dans une dernière partie assez âpre dans ce qu’elle amène. Ce que l’on peut dévoiler en revanche, c’est la façon dont le remplacement identitaire amené dans Newton Haven relève d’une modernité destructrice tout en esquivant le discours simplet de boomer. On peut y trouver une critique d’une certaine industrialisation déshumanisante qui met de nouveau Gary en opposition dans le besoin qu’a ce personnage d’évoluer à l’instar des autres mais que cela ne devrait guère enlever toute âme à un lieu ou une personne à part entière.

Vraie fausse conclusion d’une trilogie qui aura survolé le tout-venant humoristique, Le dernier pub avant la fin du monde a des saveurs de bière aussi délicieuse à déguster qu’amère par les souvenirs qui en découlent. Rappel immuable du tiraillement entre l’obligation de grandir et évoluer mais également de conserver ce qui fait de nous la personne que nous sommes, le film d’Edgar Wright fait autant rire qu’il émeut, avec un sens de la dramaturgie que l’on ne soulignera jamais assez chez le réalisateur britannique.
Le dernier pub avant la fin du monde d’Edgar Wright. Avec Simon Pegg, Nick Frost,Paddy Considine … 1h49.
Sorti le 28 août 2013