A-t-on encore quelque chose de pertinent à dire sur Les évadés ? C’est la question qui se pose à l’orée de sa ressortie en steelbook avec disque 4K Ultra HD tant le film de Frank Darabont s’est imposé au regard général comme un monument de cinéma américain, en plus d’une des meilleures adaptations de Stephen King sur grand écran. Même si certaines personnes débattent sur la qualité réelle du long-métrage (sur ce site même, certains en parlent comme un téléfilm de luxe mais nous ne mentionnerons aucun nom), force est d’admettre que la mémoire des gens à son encontre est globalement positive et appuie un culte qui persévère encore bien des années après sa sortie. Mais que peut-on en penser actuellement ?
L’introduction nous met d’emblée dans un regard de jugement avec Andy Dufresne (Tim Robbins), ce banquier accusé d’avoir assassiné sa femme, par les images accumulées comme autant de preuves de sa culpabilité. Cela nous conduit à une forme de distanciation dans le regard, encore plus appuyée par la narration en voix off de la part de Reid (Morgan Freeman), mais aussi une forme d’empathie étant donné qu’il constitue la figure centrale de la narration. C’est avec lui qu’on entre dans la fameuse prison de Shawshank, créant une forme d’enfermement qui ne ressort que très rarement dans la mise en scène. Frank Darabont prend soin de cadrer pour mieux imposer une forme d’écrasement sur Dufresne afin de mieux faire ressortir les instants d’affranchissement, que ce soit sur le toit ou bien lors de la diffusion d’un morceau de musique à travers les murs de la prison.

En soi, la réalisation de Darabont n’a rien d’extravagant, s’appuyant plutôt sur un ancrage solide pour mieux traiter ses problématiques. La critique carcérale (qui revient dans un autre film tout aussi reconnu, La ligne verte) s’avère au centre des problématiques, instaurant une déshumanisation désarmante qui relève de la destruction pure de l’individu. Les reproches dépassent la fameuse « institutionnalisation » exprimée de pleine face par un protagoniste lors du départ d’un prisonnier trop longtemps enfermé pour pouvoir s’adapter au monde extérieur (autre expression de l’écrasement dans la mise en scène). L’attaque envers le système des prisons et leur direction aussi bien meurtrière qu’humiliante s’avère forte, aussi implacable que le système judiciaire en début de film, amenant une dureté par son fond tout en essayant de garder une certaine lumière synonyme de l’espoir d’un extérieur meilleur.
C’est là que la mise en scène de Frank Darabont trouve un sens par son émotivité peut-être un poil trop à fleur de peau mais néanmoins réussie dans ce qu’il essaie de créer en viscéralité sensible. Les quelques moments où la caméra décolle de son ancrage au sol servent à mieux souligner l’espoir, en particulier dans la conclusion. Cette dernière se confronte, force de la pensée dirigée par un espoir ardent et force de la nature dans une même direction symbolique aussi appuyée que galvanisante dans son traitement. Là, Darabont se permet de sortir de ses carcans pour mieux faire vivre l’allégresse de la liberté dans une envolée puissante mais non moins dénuée de sens narratif.

Nous nous situons ainsi dans la prolongation de cette expérience d’enfermement, notamment par une durée qui sait faire prendre conscience du temps par un rythme faussement lent. On ressent ainsi les années s’égrener et les possibilités de se reconstruire se dissiper à un même rythme. Ce traitement permet également de mieux rendre compte de ce facteur essentiel dans l’emprisonnement de ses protagonistes. Les possibilités de pouvoir se développer se limitent, faute de financement ou tout simplement d’intérêt pour ce qui ne constitue au regard public que des personnes « coupables » alors même que cette notion relève d’un jugement moral pas toujours correct. Les évadés du titre français, ce sont au final ces personnes qui ont su trouver une porte de sortie en dehors du système carcéral, qu’elle soit tragique ou salvatrice.
Par ce traitement lumineux dans sa conclusion mais jamais léger dans sa globalité, Les évadés amène une certaine division critique, entre sa réputation exceptionnelle depuis des années ou une nature facile visuellement par ses prises de décision, notamment sa photographie. Néanmoins, il n’empêche que le film de Frank Darabont arrive à passer le cap des années une fois que l’on accepte la gestion émotionnelle, quasiment émotive, de son traitement entier. D’un point de vue purement technique, l’édition steelbook avec 4K Ultra HD fournie par Warner s’avère tout bonnement réussie, offrant au contenant un visuel aussi sobre que le long-métrage qu’il illustre et à son contenu une qualité visuelle qui sied à la contemporanéité toujours forte du film.

Peut-on dire de nouvelles choses sur Les évadés ? Rien n’est moins sûr tant les analyses à son propos se sont accumulées en même temps que les années, confortant l’image incontournable du film. Mais que cela ne nous empêche pas de nous répéter en trouvant le film réussi par son émotivité, par sa critique d’institutions privant de toute perspective de personnalisation ses institué·es, qu’iels soient réellement coupables ou non, tout en essayant de perpétuer l’espoir d’un décor paradisiaque où chacun·e peut redevenir soi-même, au-delà des différentes formes d’enfermement au cœur du long-métrage. L’aspect classique du long-métrage s’est conforté de notre côté et ce steelbook est l’occasion parfaite pour mieux vous faire une opinion à propos d’un film bien moins facile qu’il n’y paraît.
Les évadés de Frank Darabont. Avec Tim Robbins, Morgan Freeman, Bob Gunton,… 2h20
Sorti le 1er mars 1995