Auréolé de quatre César, Venus Beauté (institut) est le film auquel on pense dès que l’on cite la désormais regrettée Tonie Marshall. Une œuvre qui interroge les affres de l’amour, se questionne sur la réalité de ce dernier quand les espoirs n’existent plus. Intéressant dans l’idée, son parti-pris questionne, et certains aspects laissent songeurs·ses quant à leur sens réel.
Depuis son salon d’esthétique « Venus Beauté », Angèle voit passer toutes sortes de profils. Confessionnal sur-mesure pour les femmes – et quelques rares hommes – qui profitent de leur soin pour narrer toutes sortes d’anecdotes, elle y écoute beaucoup mais se dévoile peu. Le soir, elle arpente le même self-service, s’invite à table avec des inconnus, avec qui elle entame ses ébats sans se soucier du lendemain. Son dégoût de l’amour est à mettre en parallèle avec les relations futiles qu’elle s’impose, elle qui prétend chercher celui qui saura être différent, sans jamais vraiment y croire. Mais un jour, alors qu’elle poursuit l’un de ses amants dont elle dénonce les fausses promesses, elle est suivie par Antoine, tombé instantanément amoureux d’elle, qui fait tout pour la séduire.

Le quotidien du salon de beauté nous apparaît rapidement comme familier, un cocon dans lequel on aime se retrouver en compagnie de ces trois collègues fortes en personnalité. Nathalie Baye, Audrey Tautou et Mathilde Seigner (un peu trop effacée face à ses deux consœurs) sont électriques, et s’emparent de la caméra de Tonie Marshall avec brio. Avec leur caractères respectifs – la supposée naïve, l’amoureuse transie qui passe d’échecs en échecs, et la cynique –, on suit leur quotidien et leurs discussions avec passion, elles qui content leurs amourettes avec leur franc-parler, mêlé quelquefois de pudeur. À cette ambiance s’ajoute le chaperonnage de Bulle Ogier, patronne consciencieuse et volage, qui pense plus à son expansion et à sa nouvelle boutique qu’aux déboires de ses employées. Les client·e·s sont aussi des figures récurrentes, certaines destinées à apporter une once de légèreté à l’écriture, d’autres à jouer avec les enjeux. L’écriture retranscrit cette ambiance particulière, où la franchise de ces filles d’horizons sociaux plus modestes se compromet avec les obligations bourgeoises liées à la clientèle.
Mais lorsqu’il s’agit d’aborder la relation entre Antoine et Angèle, les problèmes pointent. On comprend une certaine lecture du film, qui dit que les hommes sont des salauds, que les perles – qu’Angèle renie faute d’un physique qui lui sied – sont rares, et que faute de mieux, elle se contente du moins pire. Mais la voir passer d’imbécile en abruti, vers ces gars qui ne peuvent s’empêcher de lui faire des remarques désobligeantes sur son physique alors qu’ils ne la connaissent pas, est d’une violence rare. Qu’Antoine, supposé l’aimer telle qu’elle est, dans une affection qu’il ne comprend pas lui-même, lui fasse les mêmes remarques, le met dans la catégorie de ces hommes infects qu’elle croise à longueur de soirée, et qui normalement la dégoûtent. Évidemment, c’est lui-même qui se considère et s’autoproclame différent, et jamais le regard d’Angèle ne lui accorde une clémence autre, bien consciente qu’il est comme les autres. Mais par une finalité où la réalité la rattrape, et qu’elle choisit de s’abandonner premièrement par dépit, puis dans ce qui semble être une « merveilleuse histoire d’amour », on aurait espéré un autre choix, ne laissant aucun doute quant au pathétique de ce personnage masculin qui n’est montré que comme un stalker parmi tant d’autres.

On peut également se poser quelques questions sur la relation de Marie (Audrey Tautou), s’acoquinant avec un vieux beau mélancolique, qui la séduit par ses maints cadeaux. Mais comme elle le dit elle-même, il n’est pas question de présents mais bien de présence, l’homme âgé ayant réussi, par ses attentions et sa douceur, à la toucher, l’emporter. Par cela, Tonie Marshall ne nous dit-elle pas que l’amour, telle une déité, utilise des voies étranges pour se manifester, et prend bien des formes ? Cette relation qui trouve un certain penchant romantique joue sur le double-discours de la réalisatrice, qui dénonce des personnages auxquels elle offre malgré tout une chance d’exister, et d’aimer dans un monde abrupt.
Venus beauté (institut) n’est pas un film spécialement marquant. Il fait partie de ces lauréats de récompenses dont on oublie rapidement l’existence, primé là où des films moins calibrés sont devenus bien plus cultes. Il reste cependant un moment bien ficelé, dans lequel on se perd sans oublier son plaisir, et ce malgré un discours qui a du mal à s’inscrire dans la durée. On reste admiratif devant une Nathalie Baye qui comme souvent enchante, et une fois terminé, on repasse aux choses sérieuses.
Venus beauté (institut), de Tonie Marshall. Avec Nathalie Baye, Audrey Tautou, Bulle Ogier… 1h45
Sorti le 3 février 1999