Virus : quand l’imminence de la mort réunit l’humanité

Alors que la guerre froide n’est pas terminée, que les tensions existent toujours, Kinji Fukasaku imagine dans Virus la survenance d’une épidémie de grande ampleur et ses conséquences politiques comme sociales sur la planète. Film dense tant par sa durée – pour la version cinéma du moins – que ses thématiques, il s’agit d’une proposition ambitieuse et humaniste efficace et touchante.

Le réalisateur de Battle Royale sépare alors son récit en deux parties bien distinctes. D’abord, il revient en flash-back sur l’émergence de l’épidémie, fruit ici de la pulsion militaire américaine par peur de l’ennemi. Mois après mois, on peut constater l’effondrement de la civilisation. Les morts s’entassent, les hôpitaux sont surchargés et les infirmiers dépassés. Pendant ce temps les dirigeants, principalement la Maison Blanche, ne font pas exception et sombrent peu à peu.

L’intelligence de Fukasaku est de ne pas insister sur ces points et de ne faire ressentir l’impact du virus que par la mise en scène et la narration. Le bureau ovale devient de plus en plus crasseux, bordélique alors que chaque retour dans les hôpitaux montre les corps médicaux dépérir. L’issue de l’humanité est inévitable. Cette longue introduction, qui souffre d’un aspect mécanique indéniable, permet de prendre la pleine mesure de l’enfer que devient la planète bleue, de l’impossibilité d’y survivre. Au cœur du drame, un personnage se détache du lot, Yoshizumi, sismologue qui a quitté sa petite amie enceinte à l’aube de la catastrophe pour s’engager sur une mission en Antarctique.

La seconde partie du film révèle ensuite une véritable ingéniosité scénaristique. Fukasaku transforme son film catastrophe en fresque d’une puissance épique et dramatique grandiose qui n’oublie jamais l’humain en son centre. Il s’attache aux conséquences de l’épidémie en prenant une approche qui peut rappeler Star Trek. Ici, les dirigeants des différentes forces en présence décident de collaborer plutôt que de se tirer la bourre comme on pourrait l’imaginer. Le virus devient rassembleur et l’humanité, réduite à 855 hommes et 8 femmes, reprend son destin en main avec la conscience que le véritable ennemi est la maladie.

Les dilemmes moraux sont alors légion avec des questions très intéressantes et pertinentes dans un tel contexte. Un sous-marin russe contenant des infectés souhaite rejoindre les survivants en Antarctique, faut-il les accepter ou prendre la responsabilité de les descendre ? Comment assurer la sécurité des quelques femmes restantes tout en les incitant à procréer, elles qui sont une condition sine qua non à la continuité de l’espèce humaine ? La solution à cette question est à la fois dérangeante et logique, laissant l’idée d’un compromis malsain mais nécessaire. Quoi qu’il en soit, on sent une volonté de Fukasaku d’envisager toutes les principales interrogations liées à la situation et d’y donner les réponses les plus plausibles.

C’est finalement ce qui frappe, cette intention réaliste dans le traitement du contexte catastrophe. Cette approche nourrit le film d’une certaine tension qui croît tout du long pour offrir un climax osé dans lequel l’Homme doit confronter ses erreurs du passé pour envisager le futur. Le cinéaste japonais parvient alors en 2h36 à nous faire vivre une épidémie et à nous interroger sur ce qui nous attendrait une fois l’humanité ravagée. Brillant d’intelligence dans la mise en scène comme dans le scénario, Virus est donc un film de contamination des plus ambitieux et pertinents, un vrai voyage sombre vers l’inconnu pour notre civilisation, non dénué d’optimisme par la foi qu’a l’auteur en l’humain.

Virus de Kinji Fukasaku. Avec Masao Kusakari, Sonny Chiba, Glenn Ford, … 2h36

Sortie en 1980.

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