Lucie Debray semble être abonnée aux films dépeignant des familles devenues dysfonctionnelles par une maladie mentale impactant l’un·e de ses membres. Après Une vie démente où il est question d’Alzheimer, on la retrouve dans À la folie ou quand la schizophrénie de l’une vient inévitablement impacter le quotidien des autres.
Voilà longtemps que Manue n’a pas mis les pieds chez sa mère. Et pour cause, cette dernière vit avec son autre fille Nathalie, atteinte de schizophrénie. Une maladie qui rend la jeune femme imprévisible. Un quotidien fatigant que Manue a fui en allant s’installer à Paris. L’anniversaire de sa mère est l’occasion pour elle de revenir, retrouver sa sœur et faire un état des lieux, découvrir cet état de santé que sa mère a maintenu caché. Comble de l’histoire, leur père débarque également pour faire la fête alors que ce dernier a longtemps été plus préoccupé par ses concerts de rock que par sa famille. Maintenant que tout ce beau petit monde est réuni, il est l’heure de régler les comptes.
À peine revenue du dernier Festival de Cannes avec Suprêmes (biopic sur le groupe NTM), Audrey Estrougo est de retour avec un film beaucoup plus personnel puisqu’il s’inspire de sa propre vie – son frère est également schizophrène -. Comment vivre au quotidien avec quelqu’un atteint d’une maladie mentale qui peut s’avérer autant dangereuse pour lui que pour le reste de sa famille ? Que faire lorsque la sœur censée être son modèle n’est que l’ombre d’elle-même ? Lorsqu’on a peur de celle qu’on aime et qui doit normalement nous protéger ? Toutes ces interrogations pèsent sur les épaules de Manue, de retour chez sa mère sans grande conviction mais surtout avec une énorme appréhension à l’idée de passer du temps avec Nathalie. Nathalie est imprévisible mais surtout elle ne prend plus son traitement, ce qui ne semble plus être un sujet d’inquiétude. Qui est le/la plus fou/folle dans cette histoire ? Manue qui semble tout surinterpréter et qui en a après la terre entière quitte à ruiner l’anniversaire de sa mère, ou dernière qui ferme les yeux sur tout ? Leur père plus stone qu’autre chose ? Peut-être un peu tout le monde en même temps ?

Avec beaucoup de pudeur et de naturel, la réalisatrice nous embarque dans cette famille où tout devient vite imprévisible : excès de colère lorsque Nathalie insulte sa sœur, moments de tendresse où les deux se retrouvent le temps d’un moment suspendu, ou encore ces moments relevant presque du film d’horreur lorsque Nathalie devient ce monstre – comme le décrit Manue – et que le pire est à craindre. Le film y trouve rapidement son rythme tout en surprenant constamment le/la spectateur·ice qui ne sait jamais sur quel pied s’appuyer pour ne pas vaciller. Audrey Estrougo n’a pas peur de pousser les curseurs, montrer les bons comme les mauvais côtés jusqu’à poser les questions qui fâchent : est-ce qu’on regrette ses enfants lorsqu’on sait qu’on leur a transmis le gène de la schizophrénie ? Est-ce qu’on a peur à notre tour de le transmettre ? Sans plonger dans un misérabilisme ou un pathos qui serait malvenu, À la folie se fait le portrait d’une maladie et de ses conséquences.
Le film peut compter sur un casting solide notamment grâce à ses deux actrices principales. D’un côté Virginie Van Robby qui réussit un jeu en deux temps, puis Lucie Debay avec une prestation très subtile, éloignée des clichés. Les deux forment un duo aussi électrique lorsqu’elles s’affrontent que touchant lorsqu’elles se retrouvent – même brièvement -. Loin d’être de tout repos, À la folie dépeint autant la maladie qui ronge Nathalie que l’amour que se portent ces deux sœurs l’une à l’autre. Dans les moments les plus sombres de la folie, la main tendue et le cœur ouvert d’une sœur réussit à apaiser les maux, ne serait-ce qu’un instant.
À la folie écrit et réalisé par Audrey Estrougo. Avec Virginie Van Robby, Lucie Debay, Anne Coesens… 1h22
Sortie le 6 avril 2022