Est-ce qu’en coréalisant le premier opus de John Wick il y a bientôt 8 ans, David Leitch se douterait qu’il ramènerait avec lui une certaine vague d’actioner à la physicalité assumée ? Sans doute pas mais reste à constater que ce cascadeur et coordinateur de cascades de renom a su s’inscrire dans ce renouveau avec plus ou moins de réussite (la volonté d’impact testosteronesque d’un Hobbs & Shaw souffrant d’effets visuels qui auraient mérité plus de travail). Le voir revenir avec ce Bullet Train s’annonce un challenge intéressant, encore plus quand on connaît le roman à l’origine et sa structure narrative dont l’éclatement amène son lot d’intérêt par ses personnages hautement marqués.
C’est ainsi que, si la promotion s’est concentrée sur Coccinelle, incarné par Brad Pitt, le récit conserve sa galerie de personnages différents. On ne parle pas d’adaptation directe mais l’idée de faire de son protagoniste principal un centre de gravité au sein de la narration s’avère intéressante dans le traitement de son concept. Ainsi, différents types de tueurs (voleur maladroit, jumeaux réputés pour leur professionnalisme brutal, père en quête de vengeance, jeune femme faussement insouciante, …) se retrouvent coincés dans un train à grande vitesse japonais, chacun avec leur agenda et l’envie de ressortir de cette fourmilière prête à exploser en un seul morceau et de préférence le palpitant encore entier.

Si la part belle est souvent laissée à l’idiot perdu comme un chien au milieu d’un jeu de quilles incarné avec un plaisir certain par Brad Pitt, il n’empêche que c’est son éclectisme dans ses protagonistes qui constitue l’attrait principal du film. N’hésitant pas à s’ouvrir dans un moment de drame, le récit cherche à traiter équitablement ses personnalités avec un certain équilibre. Cela peut prendre du temps, comme avec Joey King dont l’inscription des motivations dans l’intrigue se fait avec quelques difficultés. Pour d’autres, la rareté de l’apparition apporte une certaine dramaturgie au rôle avec plus (Bad Bunny) ou moins (Zazie Beetz) d’efficacité. Il n’est en tout cas pas étonnant, vu la nature du rôle, que Coccinelle se voie voler régulièrement la vedette, en particulier par un duo particulièrement délicieux constitué de Brian Tyree Henry et la moustache tout en charisme d’Aaron Taylor-Johnson.
Le casting apporte le sel le plus prégnant du long-métrage, mais qu’en est-il des scènes d’action ? Les personnes qui suivent la carrière du réalisateur devraient apprécier qu’on se retrouve face à une physicalité plus proche d’un Atomic Blonde et peut-être regretter la tonalité d’ensemble plus proche de Deadpool 2. La lisibilité est reine ici, amenant une certaine proximité visuelle qui rend les affrontements plus divertissants, notamment dans leur chorégraphie. On peut regretter que le décor principal ne soit au final pas le mieux exploité mais le public en quête d’un divertissement pop-cornesque devrait largement en avoir pour son argent, surtout s’il s’est perdu devant le flou grisâtre du très peu mémorable Gray Man. La comparaison se fait par une meilleure gestion de l’humour, s’appuyant ici sur une mythologie assez intéressante pour fonctionner. On pardonne en ce sens quelques digressions qui ralentissent un peu le tout ou se rapprochent trop d’une certaine adaptation en comic book mentionnée plus tôt (cf. ses quelques caméos, qui peuvent néanmoins provoquer un sourire sincère).

Actioner sympathique sans être transcendant, Bullet Train s’avère assez spectaculaire pour divertir sans honte et avec beaucoup de plaisir. On apprécie la façon dont la narration divisée trouve une logique dans ses révélations qui collent aux réflexions appuyées sur la famille et la foi dans le destin, amenant même des instants légèrement touchants car permettant de faire respirer au mieux ses personnages. Souvent drôle, notamment en transformant Brad Pitt en boule de flipper humaine, Bullet Train accomplit sa promesse de distraction cinématographique aux séquences d’action travaillées, le tout avec le goût d’un cocktail qui sait rafraîchir un peu durant un été aux sorties cinéma respirant le chaud comme le froid niveau blockbuster…
Bullet Train, de David Leitch. Écrit par Kotaro Isaka et Zak Olkewicz. Avec Brad Pitt, Joey King, Aaron Taylor-Johnson… 2h07
Sortie le 3 août 2022