Si nous sommes aussi informé·es quant au conflits mondiaux, et avons accès à autant d’images, c’est avant tout grâce à des acteur·ices de l’ombre que l’on oublie souvent : les photo-journalistes. Celleux qui prennent des risques inconsidérés pour nous fournir la retranscription la plus exacte possible de prises d’armes qui ne les concernent pas directement sont le cœur de ces guerres dont on ne parle que peu, le lien qui nous permet de les réaliser. Avec son engagement envers la Centrafrique, au cœur d’un conflit qui lui apporte la mort, Camille Lepage a inspiré la caméra de Boris Lojkine, désireux de lui rendre l’hommage le plus respectueux possible.
Une retranscription romancée, renforcée par le contexte
Cinq années après, on n’a toujours que peu d’informations sur les conditions ayant entraîné la mort de Camille Lepage. C’est à travers le peu de retours, mais aussi les photos de Camille, plus parlantes que le plus pertinent des témoignages, que Lojkine construit son récit et nous raconte cette courte période dans ce pays en crise. Pour le contexte, Camille se rend en Centrafrique peu après le coup d’État des Seleka, un mouvement radical islamiste qui met le pays à feu et à sang. En réponse, les anti-balaka (comprendre “anti-balles-AK) se mobilisent pour riposter, mais entament également leur propre épuration, massacrant alors les musulman·es comme elleux, chrétien·nes, se font massacrer, dans ce qu’iels voient uniquement comme un problème de religion. Conflit malheureusement trop classique à l’heure actuelle, où victimes et bourreaux sont souvent les mêmes personnes, deux facettes d’un héritage pourtant commun.

Sympathisant avec les anti-balaka, qui acceptent qu’elle les suive dans leurs actions, Camille devient la témoin innocente du conflit, une idéaliste qui au-delà du travail qu’elle a à effectuer, qui s’engage, se révolte contre des méthodes qu’elle juge inhumaines quand ce ne sont pas les acteur·ices du conflit qui sont victimes des répercussions. Ce courage pour celle qui n’hésite pas à s’aventurer dans des tribus où elle n’est nullement bienvenue pour convaincre les locau·ales·x d’accepter sa présence, Nina Meurisse l’incarne à la perfection. Avec un climat de tournage austère – tout a été tourné directement en Centrafrique -, la comédienne porte le combat et nous fait ressentir son empathie quant à celle qu’elle incarne à l’écran. On ne lâche pas Camille d’une semelle, spectateur·ice d’une tension qui peut exploser à tout moment.

Récit d’un combat, récit d’une passion
En restant au coeur de l’action, Boris Lojkine nous fait un double portrait de la conviction. La conviction de ces hommes dont, que l’on accepte ou pas leurs exactions, on comprend la rage et le désespoir. La conviction de cette journaliste luttant pour que ce peuple ne soit pas qu’une page d’une édition spéciale, que leur combat d’aujourd’hui ne soit pas le fait divers de demain, oublié alors qu’il est toujours là. Il nous fait également, dans le cadre de son hommage direct à Camille Lepage, une partition sur la passion, celle qui nous force à lutter, à croire en nos combats quels que soient les obstacles. Que ce soit auprès de ses proches qui ne croient aucunement en son projet tant qu’elle n’en apporte pas de preuves concrètes, ou de ces factions armées qu’elle doit convaincre de l’utilité de son travail de photographe, tout s’anime par sa foi, la persuasion du bien fondé de sa mission.
Si l’on nous montre d’autres photo-journalistes, plus expérimentés, qui ont appris avec le temps à avoir du recul, sans pour autant manquer d’empathie, on parle avant tout de jeunesse, de celle qui s’engage dans des combats impossibles et qui par sa force peut ouvrir les consciences. Camille Lepage est de ces idéalistes qui ont tout sacrifié pour des causes nobles. Pendant une heure trente, on retient son souffle, on ressent chaque instant, en silence.
Camille, de Boris Lojkine. Avec Nina Meurisse, Fiacre Bindala, Bruno Todeschini…1h30. Sortie le 16 octobre.