Cinq ans d’enfer, de guerre, de bombardements, de morts mais aussi d’espoirs, d’amours, de sourires c’est ce que Waad Al-Khateab a essayé de capturer entre 2011 et 2016 alors que la guerre fait rage à Alep. Un film adressé à sa fille Sama née sous les bombardements qui devient vite un message d’alerte universel.
À tout juste 20 ans et encore étudiante en marketing, Waad Al-Khateab est témoin de l’oppression exercée par le régime de Bachar al-Assad. Armée de son téléphone portable, elle filme les premières manifestations mais également les premiers massacres, la répression qui touche petit à petit tout le pays. Adieu l’insouciance de la jeune étudiante qui se lance dans un militantisme sans faille, toujours prête à filmer. Accompagnée de ses amis et de son (futur) mari, un des derniers médecins en fonction dans la zone rebelle, ils vont tout faire pour s’octroyer le peu de liberté qu’il leur reste pour aider et soigner les autres habitants. Cependant, la guerre fait rage et lorsque Waad donne naissance à sa fille Sama, la jeune femme trouve l’occasion d’expliquer à sa fille ses motivations, ce qui l’a poussé à rester dans ce pays en guerre mais aussi lui montrer à quel point ils y ont cru jusqu’au bout.
Pour Sama a cette faculté assez dingue – et rare – d’effacer toute frontière entre politique et personnel pour nous offrir un objet filmique qui certes tient du documentaire, mais recèle quelque chose de plus profond. Il met en exergue la violence des répressions tout en dépeignant le quotidien de ces familles syriennes, insufflant dans cette morosité ambiante une vraie lueur d’espoir. Acteurs mais aussi spectateurs de ce qui se passe dans leur pays, Waad et son mari Hamza se sont battus pendant cinq ans. Contre quoi ? Des bombardements ? La mort omniprésente ? Le régime ? Tout ça pour quoi ? Finalement devoir partir sous la pression à Londres.
Témoin fataliste ? Peut-être. Après tout, le monde a laissé faire ça, nous dit Waad. Difficile de regarder ce documentaire droit dans les yeux tant le film, totalement sans filtre, nous met mal à l’aise face à une réalité qui dépasse l’entendement. Tout commence lorsque des corps sont repêchés et que leur autopsie démontre des traces de torture. Le régime Assad ne fait pas les choses à moitié et dès lors c’est l’escalade de l’horreur. Bombardements, tirs de missiles, destruction des hôpitaux pour effrayer la population… Alep et ses habitants ne sont pas épargnés. Nous non plus. Waad a tout filmé : les traînées de sang, les corps détruits par les obus mais surtout les premières victimes indirectes de cette répression : les enfants. Un avertissement est donné concernant ce film mais il dépasse de loin ce qu’on a déjà pu voir. C’est brut, c’est violent, c’est compliqué à regarder. On repense à ces deux frères, en pleurs qui amènent leur petit frère déjà mort enveloppé dans un drap. Des visages meurtris et ensanglantés, c’est ce qui se dégage principalement du film.
Pourtant, le documentaire n’oublie pas de filmer tous les aspects de cette vie et malgré la situation, Waad filme de vrais moments de bonheur. Difficile de croire que ces gens arrivent à sourire et à rire, confinés dans le sous-sol de l’hôpital alors que les missiles pleuvent juste au-dessus de leur tête. Les femmes sont un véritable pilier dans cette rébellion : infirmières, mères, femmes, activistes… Elles sont loin d’être épargnées et pourtant elles sont si fortes, à l’image de Waad qui est une figure de proue dans ce film. Malgré les doutes, les larmes, Waad s’est battue pour son pays jusqu’au dernier moment et dans toute cette noirceur se cache parfois des moments suspendus qui nous font croire de nouveau en l’avenir.
Caméra d’or au dernier Festival de Cannes, Waad Al-Khateab nous offre bien plus qu’une lettre à sa fille. Pour Sama témoigne d’une réalité qu’on a tendance à oublier, d’un pays en guerre, de civils qui souffrent, et s’avère être un véritable message universel. Un message d’amour, un cri d’espoir et un hurlement de paix.
Pour Sama de Waad Al-Khateab et Edward Watts. 1h35. Sortie le 9 octobre 2019