Lorsque Jean-Christophe Meurisse a présenté Apnée à la Semaine de la critique en 2016, on a compris que c’était un auteur à part. Une première comédie qui joue sur l’absurde et le politiquement incorrect avec panache et qui annonce déjà de belles couleurs pour la suite. Avec Orange Sanguines, il pousse tous les curseurs possibles et imaginables, quitte à sacrément déranger.
Comment décrire ce film sans trop en dire et en même temps vous en dire assez pour vous convaincre que c’est l’une des meilleures choses que l’on verra cette année ? C’est l’histoire d’un couple de retraité·e·s qui participent à un concours de rock pour gagner un SUV qu’ils pourront revendre par la suite pour éponger leurs dettes. C’est une jeune fille qui s’apprête à faire sa première fois et se retrouve assaillie de questions. C’est un ministre soupçonné de fraude fiscale. Et c’est aussi un détraqué sexuel qui croise la route de certain·e·s de nos personnages. Pas convaincu·e ? Attendez, on va essayer de faire un peu mieux.
Plongeons légèrement dans le bain pour mieux comprendre l’esprit du film. Un jury autour d’une table s’écharpe pour savoir s’il faut qualifier un couple où la femme a un problème de hanche. Discussion houleuse qui se transforme rapidement en tribunal du bon et du mauvais goût à savoir s’il faut faire du social en les qualifiant. Après tout si t’as un handicap t’as qu’à faire un concours Para-Rock, hein ! Une scène longue et absurde où tout le monde hurle sur tout le monde dans une joyeuse cacophonie. Un ministre de la finance accusé de fraude fiscale ? L’ironie du sort. Les rires fusent à tout va dans une première partie où Meurisse mitraille à tout va grâce à une écriture fine et intelligente et une belle pléiade de caméos dont Blanche Gardin qui joue le rôle d’une gynécologue censée répondre aux questions de notre jeune adolescente quant à sa première fois. Fabuleuse Blanche Gardin qui nous offre nos plus belles larmes de rire. Et parce qu’en vrai on aurait très peur d’avoir une gynécologue comme elle.

Là où on aurait pu avoir peur que le film reste en surface avec un humour qui joue énormément sur l’accumulation de scènes absurdes, Meurisse nous sort une surprise de sa poche de magicien avec une seconde partie qui ne cesse de se prendre de plein fouet des ruptures de ton. L’absurde côtoie le politiquement incorrect pour pousser les curseurs toujours plus loin. Oranges Sanguines n’est pas qu’un film drôle. C’est une critique acerbe de notre société, sur le gouvernement incapable de faire son boulot (étonnant tiens), de la notion de justice qui n’existe pas (chacun doit – malheureusement – se faire justice), de la détresse des classes sociales les plus modestes, de la colère ambiante qui rend ce monde si noir. Il ose des changements drastiques pour nous faire passer des larmes de rires aux cris de stupéfaction ou d’horreur face à la situation. C’est une décharge ultra violente et une vision presque apocalyptique de notre monde. C’est une fabuleuse critique de la télévision (la parodie de Une ambition intime, l’émission de Karine Lemarchand où elle interviewe les politiques s’installe largement dans le top 3 des meilleures parodies françaises) et des travers des médias. Le tout avec une écriture qui permet toujours au film de retomber sur ses pattes malgré les voies dangereuses sur lesquelles il s’engage. Et là, tu te dis que Jean-Christophe Meurisse est un putain de génie.
Petit bijou irrévérencieux, Oranges sanguines ne s’interdit rien et s’autorise le pire du pire (même quand on pense que ça peut pas être pire que ça). C’est une révolte sanglante. C’est une brillante comédie profondément triste. Le clown a un nouveau visage et on a déjà hâte de voir la suite.
Oranges Sanguines de Jean-Christophe Meurisse. Avec Alexandre Steiger, Christophe Paou, Lilith Grasmug… 1h42
Sortie le 13 octobre