[CRITIQUE] La Nuit du 12 : Nuisances masculines

Après Seules les bêtes en 2018, Dominik Moll revient avec un nouveau polar. Plus brut que ce qu’il a pu nous montrer auparavant, il n’hésite pas à représenter l’horreur du meurtre d’une jeune fille après avoir été aspergé d’essence. À travers cette histoire, c’est le quotidien des enquêteurs que nous suivons, sans pathos ni mélancolie, pour évoquer la cruauté des violences envers les femmes.

Yohan (Bastien Bouillon) est le nouveau responsable d’une unité de la police judiciaire. Les jours suivants son intronisation, Clara, une jeune fille, est retrouvée morte après avoir été brûlée vive. Les suspects se succèdent au cours de l’enquête mais Yohan et ses collègues se retrouvent vite face à une impasse tandis que leurs doutes se multiplient…

Dominik Moll précise dès le départ que l’enquête que nous allons suivre fait partie d’une des nombreuses enquêtes non résolues en France. Pourtant, malgré ce postulat, il arrive à nous embarquer dans son investigation qui montre par sa forme les dérives de notre société sans pour autant apporter le nom du coupable à la fin. Le film marque par son ancrage, l’action se passe à Grenoble mais son fait divers pourrait se dérouler (malheureusement) partout. À travers des personnages très bien écrits, le cinéaste apporte un regard sur les violences (et les meurtres) envers les femmes. Toute l’enquête de ce féminicide tourne autour de cette jeune fille et d’un seul point pour les inspecteurs : le nombre de relations sexuelles de Clara. Un nombre important qui fait réagir sa meilleure amie, Nanie, en rappelant qu’avoir un nombre important de rapports avec des partenaires différents ne constitue pas un motif de meurtre.

Crédit photos : Haut et Court

L’auteur-réalisateur donne de la constance et de la force à ces enquêteurs, ne tombant ni dans une représentation de la brute ni dans une représentation angélique du serviteur de justice. Il en fait un groupe d’hommes (au début de l’histoire) avec des failles et des déviances possibles. Ils interrogent la véracité des faits et des versions des suspects mais en tant que spectateur, tous pourraient être coupables, tant leur haine pour la liberté de Clara transpire à l’écran. Cette liberté est constamment remise en cause à chaque interrogatoire, si ce n’est pire. Lors d’une réunion entre tous ses policiers, les esprits s’échauffent et une pensée machiste surgit comme quoi « il ne faut pas s’étonner de finir calciné après avoir flirté avec autant de mecs », ce que Yohan ne laisse pas passer. La scène apparaît peu de temps après la discussion avec Nanie, ce qui n’est pas un hasard. Malgré une écriture subtile pour certains inspecteurs (Yohan et Marceau notamment, incarnés avec brio par Bastien Bouillon et Bouli Lanners), les personnages masculins ont toujours besoin d’une parole féminine pour avancer ou évoluer. Deux autres rôles féminins viendront enrichir la fin du récit avec l’inspectrice Nadia et la juge qui reprend l’enquête.

Dominik Moll synchronise sa volonté de montrer une police judiciaire livrée à elle-même et qui n’est pas soutenue par sa propre hiérarchie, devant se battre avec des moyens humains (tout le monde rit lorsqu’un jeune inspecteur demande comment sont comptées les heures supplémentaires) et matériels très limités. Il n’en fait pas, pour autant, un discours misérabiliste et reprend de volée les remarques hors de propos, sexistes et discriminatoires lorsqu’elles interviennent. Pour cela, Bastien Bouillon est d’un calme et d’une sérénité froide, se nourrissant des paroles des femmes rencontrées durant l’enquête. Moll arrive à en faire un personnage réfléchi, qui sait écouter et analyser lorsqu’une remarque lui semble pertinente dans sa manière de travailler et d’agir, tout simplement. La dernière remarque entendue par Nadia, la seule femme de son unité, comme quoi elle travaille dans un environnement encore très masculin et qu’elle trouvait ça bizarre que « l’énorme majorité des agressions/meurtres envers les femmes sont commises par des hommes et que les enquêtes sont également menées par des hommes ». Elle rajoute qu’il vaut mieux cacher sa sensibilité au bureau, comme pour cacher ce qu’elle trouve être une différence : être une femme. Le chemin est encore long.

La Nuit du 12, de Dominik Moll. Écrit par Gilles Marchand et Dominik Moll. D’après le livre 18.3 – Une année à la PJ de Pauline Guéna. Avec Bastien Bouillon, Bouli Lanners… 1h54

Sortie en salles le 13 juillet 2022.

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