Dead Shot

[CRITIQUE] Dead Shot : Les sans-raisons de la colère

Une route de campagne, où Michael O’Hara fonce pour amener son épouse, enceinte jusqu’au cou, à l’hôpital le plus proche. Identifiant des signes qui ne le trompent pas et lui indiquent qu’une embuscade les attend plus avant, il est contraint d’engager une fuite et d’abandonner son aimée, la pensant sauve puisque n’étant pas la cible des militaires qui s’apprêtent à les assaillir. Mais dans sa course sur les collines boisées, les coups de feu figent le temps : l’officier Tempest, qui identifie la femme comme une menace, l’abat, réalisant quasi-instantanément son erreur. Dans le cœur des deux hommes, la vengeance et le remords seront les outils des forces ennemies qui n’auront aucun scrupule à les utiliser.

Du conflit qui anime la Grande-Bretagne et l’Irlande dans la froideur des années 70, nous ne verrons jamais les animations politiques. L’idée derrière Dead Shot, c’est de ne traiter ce dernier que par le prisme des bras armés et de la dualité entre deux hommes liés par un malheureux événement commun qui compromet leurs capacités à s’impliquer dans la logique de guerre. Les hauts responsables comme les commanditaires ont leurs motivations déjà ralliées par les protagonistes et n’ont pas besoin de les exprimer. Quand la faction de O’Hara l’engage sur des actions terroristes que l’unité de Tempest est chargée de désamorcer, c’est aussi pour eux la promesse d’un affrontement, de pouvoir régler ce différend injuste et vivre en paix, l’un avec sa vengeance apaisée, l’autre sa conscience libérée. Il faut se fier à quelques costumes et rues reconstituées pour ressentir une époque et une ambiance qui n’ont pas toujours les moyens de s’exprimer à l’écran. Les frères Guard ont bien conscience de leurs faiblesses, dont nous voyons forcément les limites financières, et choisissent d’axer leur qualité de mise en scène ailleurs, dans une nervosité qui transporte le/la spectateur·ice au cœur du conflit et l’y implique. 

Dead Shot

Il est d’ailleurs amusant de constater que les quelques efforts apportés à le recontextualisation des événements sont dynamités par cette volonté de faire des scènes d’action nerveuses, caméra au poing, qui dans la fuite des personnages rappelle celles de Paul Greengrass dans sa participation à la saga Jason Bourne. La dichotomie se place dans ce procédé bien moderne mais ne ternit pas l’expérience, les séquences en question étant dominées par le tension que le long-métrage se complaît à décliner sous plusieurs aspects. Dans les moments où l’unité de Tempest s’engage dans un immeuble renfermant de potentiel·les antagonistes, l’ouverture d’une porte peut faire partir un coup de feu noyé dans le hors-champ. L’implication du spectateur·ice est également censée prendre pied dans les sentiments partagés que nous nourrissons envers les deux ennemis, tous deux animés d’un sentiment que nous pouvons comprendre. On ne peut choisir laquelle des deux issues sera celle qui pourrait nous sembler la plus morale. Cela passe par le prisme de l’intime, des interactions nous montrant des personnages profondément humains, pétris de leurs erreurs et de leur besoin de se racheter. C’est dans ces instants, quand l’un s’approche de sa conjointe dont il craint la sécurité, ou quand l’on découvre les enjeux familiaux de l’autre, que le film peut trouver sa substance. Malheureusement, ces moments très brefs sont de simples cases cochées qui ne durent jamais et nous informent sans nous émouvoir.

On touche au cœur du problème de Dead shot, en ce qu’il se refuse à offrir toute profondeur à ces personnages. À l’image de ce conflit qu’il refuse de politiser, ce qui constitue un échec quand il met en scène ses acteurs de front qui contestent des ordres dont on ne comprend pas la teneur, le film ne prend jamais le temps d’offrir de la matière aux interactions, se contentant d’instants formels et directifs qui font avancer le récit sans le rendre palpable. Contraste étrange lorsque la volonté immersive de l’action est quant à elle maîtrisée. Cet autour permettant d’ancrer le long-métrage dans une réalité ne rend pas le film bâtard mais anecdotique, un moment de cinéma concret à l’écran mais absent des mémoires.

En le découvrant au festival du film britannique de Dinard, après deux efforts semblant quant à eux très « téléfilmiques » ou en tout cas dévoilant une mise en scène désincarnée, on peut se faire duper le temps d’un instant par Dead shot, qui affirme une certaine volonté de cinéma. Mais sa photographie travaillée et son dialogue caméra qui charment au premier abord gagnent rapidement nos oublis, n’évitant pas la comparaison avec ce qui a traité de sujets similaires, toujours en bien mieux. 

Dead shot, de Thomas & Charles Guard. Écrit par Ronnan bennet, Thomas & Charles Guard. Avec Colin Morgan, Aml Amreen, Felicity Jones… 1h32

Présenté en compétition au festival du film britannique de Dinard 2023

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