Ah, le Festival de l’Alpe d’Huez. Niché dans les hauteurs de l’Isère, cette manifestation cinématographique regroupe le gratin de la comédie française et peut nous réserver le meilleur comme le pire. La précédente édition a, en exemple ô combien éloquent, vu 38,5 Quai des Orfèvres couronné du Grand Prix. Mais parmi tous les bousins que peuvent nous pondre notre belle industrie, on trouve parfois des petits miracles. Les Crevettes Pailletées en était la preuve et cette année c’est Florent Bernard, accompagné de sa famille dysfonctionnelle dans Nous, les Leroy, qui s’est vu attribuer ce prestigieux prix. Celui qui a notamment collaboré sur La Flamme, Jack Mimoun et les secrets de Val Verde ou plus récemment Vermines fait un premier pas encourageant dans la cour des grands.
S’inspirant de son propre vécu, Florent Bernard nous plonge dès son introduction sous forme d’un montage alterné hautement dynamique à travers vingt ans d’un portrait de famille. Les balises du montage sont juchées de messages sur répondeur que les amant·es, adolescent·es puis jeunes adultes, s’envoient en boucle. Ces échanges tendres et malicieux deviennent mornes, emprunts au silence à mesure que les enjeux se dessinent : le couple est fini et Sandrine, seule consciente de cette réalité que son mari ne veut entendre n’a qu’une seule issue, partir. Aveuglé par sa conception de la famille intrinsèquement liée à la notion de couple, Christophe embarque les siens dans un road-trip de la dernière chance.

Si cette thématique n’est pas nouvelle au cinéma, le réalisateur tente d’y insuffler un souffle léger tout en conservant une assise dramatique. Cette dernière trouve son paroxysme lorsque Christophe emmène Sandrine dîner dans le restaurant où ils se sont marié·es. Le ton est d’abord à la rigolade lorsqu’on nous présente le gérant du lieu, sorte de troubadour prêt à amuser la galerie à base de blagues et jeux de mots en tout genre avant de vite dériver vers le cœur du problème : malgré l’insistance de ce dernier, Sandrine reste persuadée que quitter Christophe est la bonne chose à faire même si elle veut bien concéder une cohabitation pacifique. La provocation de trop pour lui qui voit tout son modèle familial s’écrouler malgré ce qu’il considère comme des efforts – là où Sandrine estime qu’il est trop tard – et qui à travers un karaoké crache son venin sur sa femme pour bien lui faire comprendre qu’elle est la fautive dans l’histoire car abandonnant son couple et donc ses enfants, Bastien et Lorelei. L’équilibre entre humour et propos à la violence sous-jacente n’est pas forcément facile à trouver mais Florent Bernard réussit l’exercice en désamorçant constamment ce qui pourrait être dramatique. En conclusion de cette scène, Sandrine veut monter dans la voiture mais ne peut ouvrir la portière à cause d’un autre véhicule accolé, l’obligeant à passer par le côté passager à et à se contorsionner pour arriver face au volant. Une grande partie de l’aspect comique du film vient du décalage apporté par le personnage interprété par Charlotte Gainsbourg. L’actrice prête sa silhouette et sa voix frêle à une femme prenant confiance en elle et à la répartie toujours bien visée. Son envie constante de faire des câlins à ses ados qui ont passé l’âge des contacts physique avec leurs parents ou les coups de malchances réguliers qui lui font éclater les canettes qu’elle tente d’ouvrir sont tant de ressorts comiques qui la rendent attachante.
C’est dans ces petits détails que se dessine le cœur du film, tout comme le véhicule qui s’abîme pendant que le road-trip passe ses étapes. Le 4×4, symbole de retrouvailles pour Christophe, se dévoile aux yeux des spectateur·ices tel que les enfants le verbalisent : une vieille carcasse qui comme le couple, ne passera pas le prochain tour. Lorsque Bastien prend le volant pour la sortir de l’allée du garage, c’est pour en briser le phare avant. Quand les parents regardent en arrière, les enfants préfèrent s’attarder sur le futur, celui que l’on ne rafistole pas avec du gros scotch. Après le phare, c’est le pare-brise qui se prend un marteau puis le rétroviseur fracassé contre une autre voiture.

La comédie n’est cependant pas ce qui réussit le plus au film qui se perd dans un excès de vouloir tout montrer et rire de toutes les situations. Lorsque Simon Astier, vêtu de son plus bel uniforme policier, contrôle une Sandrine au bord de l’implosion et l’incite à mordre le volant pour extérioriser sa colère, on pointe l’écran du doigt, content·e de voir l’apparition du comédien. Un effet aux abords sympathique mais qui ne sert pas la narration et dévoile un autre problème : la pléthore de « copain·ines du net » rappelle le réalisateur Florent Bernard au youtubeur FloBer et peut rendre cet aspect du long-métrage indigeste. Mais lorsqu’il se jette à corps perdu dans une émotion plus réelle et palpable, Nous, Les Leroy se rattrape. Après une énième dispute, Christophe demande à ses deux enfants Bastien et Lorelei de prendre parti et réalise que ce qu’il pensait pour acquis est à l’égal du peu de souci qu’il s’est fait pour ses adolescent·es. Ces jeunes que personne ne regarde ont d’autres préoccupations, invisibles car masquées par la colère des deux parents se souciant peu de ce qu’iels pensent et préférant se conforter dans l’idée qu’iels veulent garder la famille unie. En l’espace d’un instant, les cartes sont redistribuées et les enfants rappellent à Sandrine que sa volonté de rupture n’a rien d’illégitime et que la décision lui revient.
En ce début d’année, Iris et les hommes et Et plus si affinités se sont attelés à dépeindre un couple en crise dans lequel la femme ne se retrouve plus. Mais pour Caroline Vignal et Alexis Rault, baigné·es de leur vision datée et traditionnelle, le divorce est un fléau qu’il faut éviter à tout prix, quitte à rafistoler le couple au gros scotch bien puant sans se soucier des personnages et des difficultés que ces derniers ont souligné. Pour son premier film, Florent Bernard préfère embrasser une complexité bienvenue et démontre qu’il n’y a pas lieu de diaboliser les séparations lorsqu’elles sont synonymes d’apaisement. Derrière les rires ou les joutes verbales, l’amour perdure même s’il se transforme et prend une forme qui peut-être difficile à appréhender aux premiers abords.
Nous, les Leroy, écrit et réalisé par Florent Bernard. Avec Charlotte Gainsbourg, José Garcia, Lily Aubry… 1h43
Sorti le 10 avril 2024