Le cinéma a souvent exploré la figure du lanceur d’alerte, cet·te héro·ïne anonyme n’ayant pas peur de braver les puissants de son pays afin de dévoiler des vérités cachées. Les hommes du Président, Erin Brockovich, Snowden ou plus récemment The Post, ils ont tous – à leur manière – mis en lumière des parcours où chaque décision a pu avoir un impact sur le reste du monde. Ces questions cruciales de liberté d’expression, d’intégrité personnelle ainsi que le rôle des médias dans ces rouages sont également au cœur de Reality.
Il y a quelque chose de presque ironique avec son nom, Reality Winner. En 2017, l’ancienne traductrice de l’US Air Force a dévoilé des documents secrets dans lequel on pouvait découvrir les détails de la tentative d’ingérence russe durant les élections présidentielles de 2016. Animée par un sens du devoir patriotique, Winner a pris la décision audacieuse de divulguer ce rapport à ses risques et périls. Considérée comme une criminelle aux yeux de la loi, elle a été arrêtée, jugée et condamnée pour son geste. L’affaire Reality Winner a mis en évidence la complexité et les dilemmes entourant les lanceurs d’alerte dans le monde moderne. Elle a également soulevé des questions importantes concernant l’équilibre entre la sécurité nationale, la liberté d’expression et la responsabilité du gouvernement envers ses citoyens.
Jugée…
Préférant s’intéresser à tout ce qui précède son arrestation, Tina Satter opte pour un langage cinématographique particulier. Dès les premières minutes, le spectateur est plongé dans une superposition intrigante de reconstitutions et de pistes audio soulignant l’authenticité des événements présentés à l’écran. Chaque image et chaque dialogue sont tirés de l’enregistrement original réalisé par les agents du FBI lors de leur perquisition dans la maison de la jeune femme. Tout au long de l’interrogatoire de Reality, le film utilise astucieusement des extraits d’enregistrements, de documents officiels, de photos, de publications Instagram de Winner ainsi que des programmes d’actualités pour rappeler en permanence aux spectateur·ices qu’il s’agit d’événements factuels. Cette approche immersive rend l’expérience cinématographique d’autant plus troublante car le public est témoin direct de cet interrogatoire.
Outre cette immersion dans la réalité des événements, la réalisatrice trouve des moyens créatifs pour donner du poids aux passages expurgés de l’histoire. En jouant avec les distorsions d’image (des glitchs qui font disparaître brièvement Reality tout en coupant ce qu’elle est en train de dire) et en déplaçant les personnages, elle souligne l’importance de ces moments occultés, ajoutant une dimension supplémentaire à l’intrigue. Qui manipule qui, ici ? Reality avec le FBI ? La réalisatrice avec nous ?

… coupable ?
Le récit fonctionne avant tout grâce à la performance remarquable de Sydney Sweeney qui donne corps et âme à la lanceuse d’alerte qui oscille entre complexité et humanité. Son cas est d’autant plus intéressant à analyser car même si elle était contre l’élection de Donald Trump en 2016, son sens patriotique ne l’a jamais quittée. Elle garde toujours des fusils automatiques chez elle pour sa protection personnelle et continue de consacrer sa vie au service des forces armées. Son acte devient alors un pur geste d’humanité envers son pays. Le film dépeint finalement une protagoniste qui s’est retrouvée dépassée par les conséquences de ses actes, réalisant trop tard la gravité de ses actions.
L’un des aspects les plus marquants de Reality est la mise en évidence du rôle des genres qui a joué un rôle significatif dans la condamnation de Winner. En effet, lors de son interrogatoire, elle est confrontée à un groupe d’agents du FBI condescendants, surpris par ses capacités physiques et intellectuelles. Cette attitude paternaliste démontre comment la société peut sous-estimer les femmes et remettre en question leur capacité à être impliquées dans des actes de dissidence ou de dénonciation. À mesure que les retranscriptions avancent, l’étau se resserre aussi psychologiquement que physiquement. Interrogée sans avocat, les jeux de manipulation se font de manière beaucoup plus tordue, déséquilibrant totalement les rapports de force.
Avec Reality, Tina Satter réalise un premier film impressionnant de maîtrise et de tension tandis que Sydney Sweeney trouve un premier rôle qui la fait entrer dans la cour des grands. Une radiographie austère de l’État et de son pouvoir qui nous rappelle le besoin de ces lanceur·ses d’alerte et la sécurité précaire qui les entoure.
Reality de Tina Satter. Écrit par James Paul Dallas et Tina Satter. Avec Sydney Sweeney, Josh Hamilton, Marchánt Davis… 1h22
Sortie le 16 août 2023