Jeune réalisateur peu connu du public occidental, Shô Miyake enchaîne coup sur coup deux longs-métrages sur une jeune génération en manque de repères. Après And Your Bird Can Sing, il revient sur grand écran avec La Beauté du Geste, un projet qui naît d’une lecture et d’un constat. La lecture, celle de la biographie de Keiko Ogasawara, première femme malentendante à devenir une professionnelle de la boxe. Le constat, celui que la boxe est un sport profondément cinématographique aussi bien par l’esthétique de ses combats que par le rythme ces (nombreux) entraînements. Deux éléments qui l’inspirent et le motivent à poser sa pierre à l’édifice de la boxe au cinéma.
Keiko est une jeune boxeuse dont la carrière prend son envol à la suite de son accession au rang de sportive professionnelle. Son quotidien, perturbé par la surdité et rythmé par ses entraînements est bouleversé par la décision de son entraîneur de fermer le club de boxe.

Boxer pour s’exprimer
À la simple évocation de la boxe dans le domaine cinématographique, de nombreuses références pointent le bout de leurs nez (cassés) avec leur lot de sueurs, de dépassements et de figures sanguinolentes. Cette imagerie ne trouve pas sa place dans La Beauté du Geste. Filmé comme une chorégraphie sentimentale, l’entraînement sportif n’agit pas comme un facteur de dépassement mais comme un exutoire harmonieux où les sentiments sont canalisés dans des gestes techniques se confinant à les maîtriser. Une maîtrise que Keiko tend à perdre sur le ring lorsque l’harmonie est rompue par l’affrontement des individualités et le désir de dépasser l’autre. Pourquoi les gens pratiquent des sports de combat ? D’où vient ce désir de s’infliger des coups pour se dépasser ? Deux questions que le réalisateur soumet à l’interrogatoire au cours des quelque cent minutes du métrage.
S’éloignant de toute violence, la réponse se trouve plutôt dans une certaine mélancolie qui habite ceux qui cherchent leurs repères. Keiko vit son quotidien au travers de son état de malentendante. Comment comprendre un monde où chaque personne avance masquée à cause d’une pandémie mondiale et où chaque échange humain relève d’un effort mutuel ? Par le geste. De la langue des signes aux exercices de perfectionnement, une grâce se dégage de la maîtrise des mouvements. Une source de bien-être pour Keiko qui apprend, par le langage de la boxe, à échanger avec ses partenaires sportifs sans autre besoin d’interactions en lien avec son handicap. Un handicap que le métrage souligne avec une délicatesse toute particulière.

Entendre le silence, voir la mélancolie
Qu’il est difficile pour un public entendant de s’identifier à une personne souffrant de surdité. On imagine aisément le silence par l’absence de son, mais le faire ressentir sur grand écran par d’autres voies que les (trop) classiques coupures de bande sonore est un défi. Shô Miyake choisit, plutôt que de nous priver de l’un de nos sens, d’en accentuer l’infime afin de nous faire ressentir ce que nous pourrions perdre. Dès l’introduction du métrage, les paroles et ambiances musicales laissent place aux grincements mécaniques des machines d’entraînements et aux bruits de frappes des gants. Une mélodie tantôt dissonante tantôt agréable qui provoque chez le spectateur un sentiment de réconfort à l’idée de pouvoir percevoir ses parasitages auditifs, les détester ou les apprécier mais les percevoir toujours.
Au-delà du défi que représente un handicap dans une société qui peine toujours à créer un véritable espace inclusif, c’est le piège de la solitude qui guette Keiko. Dépouillé de désespoir, ce sentiment doux-amer provient à la fois de la perte du repère que représente le club à l’annonce de sa fermeture prochaine, mais également de la meurtrissure que lui infligent les attentes déçues de son nouveau statut. Keiko atteint l’un de ses objectifs de vie : devenir une boxeuse professionnelle. Pourtant cette réussite ne la rapproche pas plus de sa famille ou de ses collègues. Elle ne lui permet pas de s’émanciper de son handicap, mais crée de nouvelles barrières l’éloignant de ses connaissances qui la mettent sur un piédestal ou s’inquiètent de la savoir dotée d’une telle rage de vaincre. Cette solitude, teintée de mélancolie, Shô Miyake la travaille dans ses visuels. Le métrage est tourné sur une pellicule de 16mm permettant de donner à l’image une granularité et un ton invoquant à la fois le réalisme et l’onirisme. Ce ton permet de nous impliquer sans un mot dans l’état d’esprit de la jeune femme et de nous inviter à partager sa mélancolie.

Cherchant à créer une œuvre qui oscille entre le documentaire et la fable, Shô Miyake crée un témoignage touchant sur le handicap et sa solitude dans lequel il insère un regard amoureux de la boxe, de son esthétisme et de sa poésie. Par son intimisme et sa capacité à faire notre le parcours de vie de Keiko, La Beauté du Geste (dont le très beau titre anglais est Small, Slow but Steady) est une belle réussite qui s’installe en nous comme une sensation, fugace et éphémère mais agréable à l’esprit qu’elle touche et émeut.
La Beauté du Geste, de Shô Miyake. Écrit par Keiko Ogasawara, Masaaki Sakai, et Shô Miyake. Avec Yukino Kishii, Tomokazu Miura, Masaki Miura…1h39
Sortie le 30 août 2023