C’est un saut dans le vide pour Sean Price Williams. Après une longue carrière en tant que Directeur de la photographie, notamment pour les frères Safdie, le cinéaste américain se lance dans une première réalisation avec The sweet east, douce traversée de l’Amérique peuplée d’étranges personnages.
Tout bon conte débute par le schéma classique des tumultes adolescentes. Nous voilà dans le car en voyage scolaire à Washington. Une expédition qui rime avec bonne humeur, blagues salaces et fête à foison mais le réalisateur s’éloigne du schéma narratif en évitant toute exposition prolongée. L’intrigue prend de l’ampleur lorsque les lycéen·nes se rendent un soir dans un bar de la ville et se retrouvent aux prises avec un tireur persuadé que des activités pédophiles ont lieu dans le sous-sol. Dans la cohue et la peur, Lillian abandonne ses camarades pour suivre un mystérieux personnage à travers un réseau de tunnels souterrains. Les motifs d’Alice au pays des merveilles prennent de forme. L’épopée extraordinaire de notre héroïne à travers la côte est des États-Unis peut débuter.

Les chapeliers fous
Tout le récit de Nick Pinkerton s’articule autour des rencontres que fait Lillian durant son périple. En suivant ce jeune homme à l’allure punk rock, elle atterrit dans un premier terrier rempli d’artistes qui carburent aux substances illicites. Quelques discussions gênantes et un pénis clouté plus tard, son errance la conduit à un rassemblement de suprémacistes blancs. C’est là qu’elle attire sans le vouloir l’attention de Lawrence, un érudit étonnamment vertueux et charismatique. Cette seconde partie est certainement la plus développée, drôle et intéressante à suivre. Après son rôle d’ancienne star du porno dans Red Rocket, Simon Rex fait une nouvelle fois preuve de talent et de second degré pour incarner ce Tanguy un peu gauche. Il échappe notamment au stéréotype du suprémaciste à la masculinité crade en manifestant un besoin protecteur sincère envers Lillian.
Le voyage à travers l’Amérique amène Lillian à faire tout un tas de rencontres et de côtoyer toute une variété de sous-cultures et de communautés. On passe donc aisément des adeptes naïfs de théories du complot aux néo-nazis, en passant par les cinéastes indépendants exubérants de New York, des militants islamiques sexuellement réprimés et même les ordres monastiques. Sean Price Williams se permet toutes les folies avec un curseur qui va toujours plus loin. Chaque rencontre comporte son lot de surprises.

Maux et merveilles
Contrairement au personnage d’Alice au pays des Merveilles, Lillian n’est pas du tout crédule. Timide certes, mais bien consciente des gens qui l’entourent. Au cours du récit, elle révèle une capacité d’adaptation à son environnement. The Sweet East se fait le tableau surréaliste de la dichotomie américaine contemporaine entre le rêve et cauchemar. Dans ce récit, l’identité est une construction fluide que Lillian manipule habilement comme un outil stratégique.
Visuellement, le 16 mm offre une image solaire et attendrissante. Comme les images d’un road trip où on ne peut jamais rien prévoir. Le film tisse élégamment des références cinématographiques, allant du cinéma muet au cinéma indépendant américain contemporain avec aisance. Une aisance qui se retrouve également au cœur du récit qui réussit à jongler entre satire et comédie noire à un rythme effréné. Là où Sean Price Williams fait fort, c’est que – malgré la critique virulente d’un pays qui se divise – il ne crée jamais de vrais antagonistes. Chacun·e nous parait sympathique par sa naïveté, sa simplicité alors que les défauts et opinions politiques sont plus que questionnables.
The Sweet East offre un road movie excentrique et un regard perspicace sur les profondes divisions sociales, la polarisation politique et la radicalisation qui caractérisent l’Amérique d’aujourd’hui. Sans forceps, Sean Price Williams le fait à travers le regard doux de Lillian qui après cette folle aventure revient plus forte que jamais.
The sweet east réalisé par Sean Price Williams. Écrit par Nick Pinkerton. Avec Talia Ryder, Simon Rex, Earl Cave… 1h44