Tandis que les voix continuent de s’élever en Iran et que les femmes se battent contre un système prêt à tout pour les faire taire, son cinéma irradie. Il porte haut et fort des messages importants pour que les femmes puissent continuer à se battre. L’année dernière ce sont Les nuits de Mashad et Leïla et ses frères qui nous bouleversaient. Cette année il nous fait des propositions plus osées avec Les ombres persanes et The Wastetown.
Le troisième long métrage d’Ahmad Bahrani nous plonge dans un monde d’une noirceur troublante. Tout se déroule dans une casse automobile désolée, aux abords d’une ville iranienne sans nom. C’est là que des hommes marginalisés tentent de gagner leur vie, tandis qu’un vent purgatoire souffle à travers les carcasses de véhicules abandonnés, créant une atmosphère des plus oppressantes. C’est au cœur de ce paysage désolé que Bemani, interprétée par Baran Kowsari, fait son apparition. Elle vient de sortir temporairement de prison où elle a passé une décennie derrière les barreaux, accusée du meurtre de son mari. Désormais libre, son unique but est de retrouver son beau-frère, Ebi. Il est le seul espoir de Bemani pour savoir où se trouve son fils, né pendant son incarcération. Le film explore subtilement le thème de la féminité iranienne en opposition au patriarcat oppressant. Bemani, en quête de justice et de rédemption, incarne la lutte d’une femme en marge de la société, victime des normes patriarcales qui ont conduit à son emprisonnement injuste.

Histoires de famille
L’histoire de Bemani et Ebi va bien au-delà du simple lien matrimonial entre Bemani et son défunt mari, car Ebi a joué un rôle crucial dans la tragédie qui a entouré la mort de son époux. Son nom est littéralement tatoué sur la main de Bemani, symbole d’une connexion profonde et indélébile entre elleux. Il était présent lors de l’incident fatal qui a coûté la vie à son frère et connaît la vérité – elle a agi en légitime défense. Sans appuyer sa défense, Ebi a refusé de témoigner contre elle, lui évitant la peine de mort. Un acte qui a déchaîné la colère de ses deux autres frères qui se sont retournés contre lui, l’obligeant à trouver refuge dans un bus abandonné, un modeste abri pour échapper à leur vengeance. Une situation tendue qui ne fait que s’accentuer avec l’arrivée de Benami, bien déterminée à retrouver son fils. Elle sait que la clé pour le retrouver réside dans les informations détenues par les hommes travaillant dans la cour. Bemani use de tactiques astucieuses pour les faire parler, exploitant leurs faiblesses et leurs désirs les plus vils pour obtenir les réponses qu’elle cherche.
Cette quête de vérité et de justice se déroule dans un environnement oppressant, où la menace de violence et de rétribution plane constamment. La tension monte à mesure que Bemani approche de la vérité, et chaque interaction avec ces hommes brise les apparences pour révéler leur véritable nature. Ahmad Bahrani explore les liens familiaux complexes, la loyauté inébranlable malgré les conséquences, et la quête désespérée de la vérité. Bemani et Ebi sont lié·es par des événements tragiques, et leur destin est indissociable, tout comme celui de tous celleux qui peuplent cette casse automobile désolée. Un récit puissant souligne les luttes et les sacrifices que certain·es sont prêt·es à faire pour trouver la paix et la rédemption dans un monde impitoyable.
Noir c’est noir…
Le cinéma de Bahrami se distingue par son élégance et son économie de moyens. Le réalisateur privilégie les travellings lents et les panoramiques à 180 degrés, créant ainsi des images qui révèlent un paysage de désolation, un cimetière ravagé de véhicules en décomposition. Chaque plan est soigneusement conçu pour transmettre une atmosphère oppressante et sombre, amplifiant l’impact émotionnel du récit. Une des forces du film réside dans son utilisation du rythme et de la répétition. Un motif musical inquiétant et funèbre accompagne un plan récurrent où Bemani ferme tour à tour les portes des cabanes des hommes dans la casse automobile. Cette répétition crée une tension croissante, soulignant la détermination implacable de Bemani dans sa quête de vérité et de rédemption.
Il utilise également habilement le symbolisme visuel pour renforcer le récit. Le concasseur de voiture hydraulique qui apparaît à plusieurs reprises peut être interprété comme une métaphore de la violence et de l’oppression qui règnent dans ce monde désolé. Il représente le pouvoir écrasant des forces qui cherchent à briser Bemani et son désir de se libérer de son passé douloureux. L’image inébranlable du sort de Bemani est dévastatrice et puissante. Le réalisateur ne nous épargne pas les souffrances et les limites auxquelles elle est confrontée. Les murs qui se referment autour d’elle symbolisent l’emprisonnement physique, émotionnel et social qu’elle subit, laissant entrevoir l’absence totale d’options et de perspectives pour une femme qui cherche à se réapproprier sa vie.
Si on peut lui amputer un rythme lancinant qui peut en laisser plus d’un·e de côté, The Wastetown est une proposition cinématographique unique. Une nouvelle façon de dessiner un portrait de femme écrasée par le patriarcat dans un pays qui ne laisse que peu d’espoirs aux plus marginalisé·es.
The Wastetown écrit et réalisé par Ahmad Bahrami. Avec Baran Kosari, Ali Bagheri… 1h38
Sortie le 2 août 2023