L’Art, incluant le cinéma, a ce rôle précieux de témoin de l’Histoire. Sous ses différentes formes, il capture des visions de divers instants T et agit donc comme une mémoire de notre passage sur terre. Les découvertes de nouvelles traces sont donc un événement et permettent d’y voir plus clair sur ce qui nous précède à bien des niveaux. C’est là qu’intervient Dawson City : Le Temps Suspendu, documentaire de Bill Morrison dans lequel ce dernier relate la légende d’un petit village de l’Amérique du nord, à travers des bobines retrouvées il y a quelques années. Un travail d’archéologue, pour un résultat stupéfiant.
Après un prologue donnant le contexte – des films de la période muette (1898 – 1930 environ) retrouvés à la fin des années 70 à Dawson City, que Bill Morrison décide d’utiliser pour faire revivre le riche passé de cet endroit -, un véritable spectacle commence. À l’instar d’un Terrence Malick qui nous faisait revivre l’aube de l’humanité dans Tree of life, le cinéaste nous offre une remontée vertigineuse dans le temps, à l’heure où cinéma et danger rimaient, quand le nitrate menaçait de flamber à tout moment. C’est un véritable ballet monochrome qui fascine nos rétines, une déferlante de plans semblant venir d’ailleurs et montés avec une grande précision. Car si le film n’est en réalité qu’un énoncé chronologique de faits dans l’idée, agrémenté d’une musique omniprésente, parfois de trop, il faut tout de même apprécier le travail d’orfèvre effectué.
Dawson City amène à voir diverses facettes de l’Amérique. De la ruée vers l’or qui a tout initié là-bas aux affaires de corruption dans le milieu du sport en passant par l’émergence de l’industrialisation et du super-capitalisme, tout semble pouvoir s’observer à travers ce village. Et le tour de magie est tel que nous voyons ceci à travers les images filmées à l’époque, ainsi qu’avec les photographies d’Eric Hegg, elles aussi retrouvées. Seuls des panneaux de texte accompagnent cet exercice visuel de haute volée, flirtant parfois avec l’expérimental grâce aux rides du nitrate, nous remettant à la place des spectateurs d’antan, dans un état d’émerveillement face à des projections inédites, face à du jamais-vu.

De cette exploration quasi hallucinatoire d’un passé historique et artistique ressort une émotion forte. Ce jeu basé sur la puissance évocatrice des images et leur importance dans le développement d’une culture ravive une conscience toujours aussi primordiale : la nécessité de préservation. Face à ce récit nous rappelant sans cesse la fragilité de cette mémoire du monde, à l’heure où le marché dématérialisé croît à une vitesse exponentielle sans véritable garantie de sauvegarde des œuvres sur le long terme, on est profondément touché par la note d’espoir offerte par cette traversée du temps tout en étant inquiété pour l’avenir. Si Gaspar Noe disait que « Le temps détruit tout » dans son Irréversible, on a là la preuve que ce n’est pas toujours le cas. Qu’un bout de nitrate a pu capturer et geler le temps pour le partager au plus grand nombre encore un siècle après.
Dawson City est donc aussi dense que renversant. Bill Morrison livre un documentaire qui laisse songeur, curieux et avide de découvertes cinématographiques de cette époque révolue mais gravée sur les pellicules. Ironiquement, ce récit sur le lieu qui recevait les films avec plusieurs années de retard aura mis quatre ans à arriver chez nous. Preuve ultime qu’avec la culture, pour enrichir nos vies, mieux vaut tard que jamais.
Dawson City : le temps suspendu de Bill Morrison. 2h
Sortie le 5 août 2020.