Down By Law : Les évadés philosophiques

Jim Jarmusch, tel qu’on le connaît, est le synonyme d’une errance. Une errance existentielle, durant laquelle ses protagonistes s’interrogent sur l’existence. Des personnages atypiques, souvent perdus et sans but, qui par leurs rencontres tentent de s’enrichir l’esprit, découvrir et se découvrir. Après les dialogues capitonnés de Stranger Than Paradise, il s’ouvre au grand air pour son troisième long métrage, Down By Law.

Afin de pouvoir accentuer la naïveté des personnages découvrant le vaste monde extérieur, Jarmusch les pousse à l’enfermement, nous contraindre à observer une action limitée à une seule pièce, pour ensuite nous apporter ce sentiment de liberté en agrandissant les points géographiques de son cadre. Nos joyeux lurons se retrouvent en prison, tous tombés pour des larcins idiots. Jack (John Lurie) et Zack (Tom Waits) se sont fait avoir comme deux imbéciles, manipulés par des petits truands leur attribuant leurs crimes en usant de leur naïveté. Bob (Roberto Benigni), quant à lui, a commis un meurtre, et est donc mis en cellule pour une raison valable, mais le caractère accidentel et absurde de son crime le met au même niveau de bêtise que celui de ses comparses. Celui qui voit la vie d’un œil plus joyeux attise la colère des deux autres, renforçant une certaine forme de complicité. Au final, ces ingénus deviennent complémentaires, indispensables les uns des autres.

Lorsque l’évasion se présente, la dualité domine : comment marier l’envie de liberté individuelle et la co-dépendance de la vadrouille commune ? Plus de possibilités impliquent des choix entraînant la discorde, et l’équilibre trouvé éclate régulièrement, résultant en des explosions de colère, des séparations soudaines pour ceux qui se rabibochent régulièrement, ne savant toujours pas où aller. À ce titre, et à défaut d’une cinématographie qui joue sur l’intimité et ne cherche pas à impressionner, c’est dans les dialogues et la force du trio que Down By Law puise son importance. Lurie et Waits sont des habitués en devenir du cinéma de Jarmusch, et Benigni, qui tente là sa première expérience à l’international, se mêle parfaitement à la dynamique qui détermine le caractère de ces personnages. Ainsi, les interactions fonctionnent, et on s’attache à ce petit groupe atypique qui nous entraîne avec lui.

La recherche philosophique autour des sujets abordés se manifeste à l’écran par la recherche physique, chacun trouvant des voies potentielles au fur et à mesure de l’avancée du métrage, et la route proposant régulièrement divers détours visibles, coïncidant avec les discordes quant à la destination du voyage. L’un s’évade dans la simplicité des choses, de la nourriture aux jeux, en passant par les discussions légères où tout lui apparaît compréhensible, lui offrant une aisance particulière et le récompensant par un amour inconditionnel. Mais chacun sa propre voie, et c’est en voyant Roberto accomplir une part de son chemin que Jack et Zack réalisent que leur destinée est ailleurs, et qu’elle se fera séparée. C’est d’ailleurs là le propre de l’amitié, tel que Jarmusch s’entend à le souligner : un sentiment fort, qui ne se perd pas malgré les expériences personnelles qui n’ont pas besoin d’être vécues ensemble mais d’être réunies par l’empathie.

Son style, le réalisateur le connaît bien, puisqu’il le décline sous toutes ses formes à chaque film. Dans Down By Law, il nous l’offre sous la forme d’une envolée lyrique, d’une échappée philosophique pour ces « moins que rien » qui peuvent être capables de grandes réflexions. Léger mais puissant, le film se savoure à chaque instant, et nous transporte par ses dialogues et la saveur de ces personnages.

Down By Law, de Jim Jarmusch. Avec John Lurie, Tom Waits, Roberto Benigni… 1h47
Sorti le 12 novembre 1986

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