Véritable phénomène depuis le début de sa diffusion, Euphoria est une série créée par Sam Levinson et se centre autour de la vie d’adolescent·es qui expérimentent l’alcool, le sexe, les relations compliquées et les addictions. Les deux saisons se concentrent sur le personnage de Rue Bennett, interprété par Zendaya, une jeune fille souffrant d’une grave addiction à la drogue. Si les prémices de la série sont prometteuses et peuvent mener à des choses intéressantes, force est de constater que, malgré son talent de réalisateur et sa patte visuelle très marquée, Sam Levinson se loupe totalement sur l’écriture.
Parlons d’abord de Rue, notre protagoniste principale et accessoirement, le seul personnage cohérent et bien écrit de la série. On comprend dès le début sa volonté de ne pas guérir de ses addictions parce que la drogue est plus facile que d’affronter la source de ses problèmes, le cancer puis la mort de son père alors qu’elle n’avait que 13 ans. À travers elle, sa sœur Gia, son ami Ali et sa mère, Sam Levinson montre la difficulté et la complexité d’aimer une personne victime d’addictions de manière très juste et sincère, le tout aidé par le fabuleux talent d’actrice de Zendaya qui trouve enfin un rôle à la hauteur de son talent.
Pour autant, dès que l’on s’éloigne des mésaventures de Rue, le constat est simple : tous les personnages féminins ne semblent exister que par le prisme masculin. C’est le cas de Maddy qui reste collée à Nate, son petit ami abusif, de Cassie qui aurait eu l’occasion de se focaliser sur elle-même après l’avortement qu’elle a subi (et qui n’est par ailleurs jamais mentionné dans la suite) mais qui se retrouve dans une relation sortie de nulle part avec Nate, et même du personnage de Jules. Son parcours à travers sa transidentité fut de se diriger vers des hommes plus âgés, dominateurs et virils qui “pourraient faire ressortir la féminité en elle” alors que sa rencontre avec Rue lui prouve qu’elle n’a pas à sa calquer sur un modèle de féminité déjà établi, qu’elle peut trouver sa propre voie. Malgré cela, Sam Levinson décide d’ignorer ces déclarations et introduit le personnage d’Elliot, qui incarne la personnification de l’addiction de Rue, sa volonté de ne pas se soigner pour continuer à oublier ses problèmes dans la drogue. Elliot est le seul à la comprendre, mais au lieu de creuser cette affinité et la complexité de leurs addictions, il choisit de mettre Elliot en plein milieu de la relation entre Jules et Rue… Un couple, rappelons-le, lesbien. Bien sûr, les identités sexuelles peuvent changer au cours d’un parcours de vie mais pourquoi introduire un homme cisgenre et hétérosexuel dans une relation lesbienne alors que cette relation fait déjà face à plusieurs autres problèmes ? En plus de ne rien apporter au développement de Jules et Elliot, ce choix appauvrit l’ensemble de manière significative et semble, comme pour beaucoup de relations dans la saison 2 d’Euphoria, sorti de nulle part.

Cette saison 2 choisit également de s’attarder sur le personnage de Cal, le père de Nate qui passe son temps libre à abuser psychologiquement de son fils et à coucher avec des jeunes hommes ou jeunes filles (dont Jules qui était mineure à l’époque) et à les filmer à leur insu. Au lieu de s’attarder sur le traumatisme de Jules ou encore sur la réaction de Nate, Sam Levinson choisit de montrer le passé de Cal et, bien évidemment, comme toujours, l’abuseur n’est en réalité qu’un pauvre petit garçon qui a été forcé de refouler son homosexualité par crainte de la colère de son père. Alors, petit rappel pour Sam Levinson et tous les scénaristes américains : une homosexualité refoulée ne justifie en rien un comportement de prédateur sexuel. Mais au-delà de cela, pourquoi vouloir à tout prix justifier ce comportement répréhensible à tous les niveaux au lieu de s’attarder sur les personnes qui en sont victimes ? Pourquoi forcer à tout prix l’audience à éprouver de la sympathie pour un personnage fondamentalement mauvais et abusif ?
L’autre problème qui se pose est la sur-sexualisation des personnages féminins, principalement à travers la représentation de Cassie et Kat qui subissent de plein fouet le male gaze qui gangrène la série. Il est effarant de voir des personnages supposés mineurs avoir autant d’histoires liées au sexe (parce qu’évidemment, les femmes ne sont bonnes à être vues que par le prisme de leur sexualité), notamment en ce qui concerne Kat. Premièrement, il y a d’autres manières de représenter des jeunes filles grosses que par le prisme de leur poids (la seule histoire de Kat qui n’est pas liée à son poids, sa relation avec Ethan, est totalement détruite sans raison dans la saison 2) mais on ne peut pas blâmer Sam Levinson de vouloir discuter de ce sujet à un âge où on se questionne constamment sur les apparences des un·es et des autres. Le problème de Kat se trouve encore une fois dans la sexualisation systémique qui est faite de son personnage où pour se sentir mieux dans son corps, elle décide de se lancer dans le business des camgirls. Au lieu de montrer le profond danger qui peut être occasionné par ces activités, Sam Levinson intègre cela dans une narration censée être libératrice, ce qui ne serait pas un problème dans le cas d’une adulte (encore que l’exécution laisse à désirer) mais on parle ici d’une jeune fille de 17 ans. N’y a t’il pas d’autres manières de montrer une jeune fille assumer son corps que de passer par sa sexualisation ?

Beaucoup de scènes gagnent ainsi en malaise lorsque l’on se rappelle que l’on a affaire à des personnages mineurs, notamment celles avec Cassie, parsemées de nudité. Sam Levinson s’est défendu de ces accusations en interview en arguant que la série était faite pour des adultes. Est-ce qu’un public adulte a vraiment envie de voir des adolescent·es dans des scènes de sexe graphiques et emplies d’une nudité qui ne semble toucher que les femmes ? Rappel à tou·tes : la nudité féminine quasi constante d’Euphoria encourage la fétichisation de jeunes filles mineures. Le pire est que plus de la moitié des scènes de sexe ne sont pas nécessaires surtout celles de Cassie qui, malgré les efforts de la fabuleuse Sydney Sweeney, se retrouve littéralement noyée dans le male gaze inhérent de la série.

Ce profond manque de qualité dans l’écriture de la série est d’autant plus dommage que visuellement, Euphoria est sûrement est un des programmes les mieux travaillés que la télévision nous a offerts. Malheureusement, ni les visuels magnifiques, ni la réalisation et le montage incroyablement bien exécutés ne peuvent faire oublier la sur-sexualisation des personnages féminins, le manque de discussion ou même de représentation de personnages de couleur, le male gaze constant ou les innombrables incohérences scénaristiques qui font légion. Malgré une saison 1 prometteuse qui établit bien les dynamiques entre personnages, la saison 2 perd de manière significative en qualité d’écriture et plonge les protagonistes dans des histoires sorties de nulle part au lieu de se focaliser sur leur continuité. En somme, une étude intéressante pour démontrer que dès que l’on affaire à des personnages divers et variés, un unique scénariste (et encore plus un homme cisgenre, hétérosexuel et blanc) ne suffit pas.
Euphoria créé par Sam Levinson. Avec Zendaya, Hunter Schaffer, Jacob Elordi.
2 saisons disponibles sur OCS
[…] dans un inconscient collectif. On y retrouve autant de Sex Education (2019- auj) que d’Euphoria (2019 – auj), le film empruntant tout autant au côté feel good de la série Netflix […]