Jeune réalisatrice brésilienne, Iuli Gerbase a fait ses armes dans l’écriture et la réalisation de courts-métrages pour lesquels elle remporte quelques récompenses et de nombreuses nominations dans les festivals internationaux. C’est lors du festival de Sundance qu’elle dévoile en 2021 son premier long-métrage The Pink Cloud (A Nuvem Rosa), un huis-clos versant dans la science-fiction qui n’est pas sans nous rappeler une situation mondiale pas si lointaine.
Giovanna et Yago passent ensemble une nuit sans lendemain lorsqu’au réveil, ils découvrent, en même temps que le reste du monde, l’apparition d’un nuage rose qui envahit le ciel et tue tous les êtres humains se trouvant hors d’un abri fermé. La consigne est donnée, n’ouvrez pas ou mourrez.

Une menace mortelle venant d’un phénomène que l’on ne sait pas expliquer et qui nous pousse à nous enfermer à double tour, voilà un point de départ qui ne manque pas de nous rappeler la crise du Covid qui a marqué l’année 2019 pour l’ensemble de la planète. Pourtant, Iuli Gerbase écrit son premier long-métrage au cours de l’année 2017 avant de le réaliser en 2019, ce qui semble n’être qu’une coïncidence étonnante. Le nuage mortel qui sévit sur notre couple d’infortune n’est pas ici l’enjeu majeur du film. Pas de grandes théories sur son origine, ni de recherches sur le moyen de le détruire, The Pink Cloud n’est pas un film catastrophe, mais un huis-clos intimiste interrogeant notre résilience face à l’enfermement et notre capacité à construire nos relations aux autres lorsque ceux-ci sont enfermés derrière des écrans noirs.
Yago et Giovanna ne se connaissent pas lorsque le nuage frappe. Relation d’une nuit sans attache ni sentiment, ce couple est condamné à vivre le confinement qu’on leur impose pour survivre, et cela alors que leurs relations extérieures (sœur, père, amie, …) se retrouvent condamnées à vivre dans les endroits où elles se trouvaient au moment de la venue de cette menace brumeuse. Par leurs communications au moyen de visioconférences salvatrices, Iuli Gerbase nous offre une palette de situations apportant chacune un aspect de l’enfermement et de ses conséquences. Du père malade à l’amie condamnée à la solitude, tous doivent apprendre comment survivre à un changement social qui n’a humainement rien de naturel. Au-delà de cette survie, c’est la manière dont se réinventent les relations humaines que questionne la réalisatrice qui, à mesure que le temps passe, nous montre la résiliation de ces personnages pour qui certains choix deviennent acceptables.

Vivre avec ou attendre le retour à la normale, c’est toute la différence qui sépare Yago et Giovanna. Si lui est plus enclin, dès le début de ce confinement, à vivre avec ce nouvel état de fait et rebâtir sa vie autour de ces contraintes, elle ne l’entend pas de la sorte et ne vit que dans l’espoir d’en sortir pour reprendre une vie normale. S’étendant sur plusieurs années, le métrage nous montre plusieurs phases de cette vie incarcérée. Si les premiers temps riment avec un certain amusement soucieux de la part des personnages qui préfèrent rire de la situation et explorer les possibilités d’une vie débarrassée des contraintes sociales et de temps qui s’imposent à eux, le prolongement de la situation emporte avec lui son originalité. Condamnée à vivre en boucle les mêmes journées, et à observer par la fenêtre et le petit écran un monde qui n’est plus accessible, Giovanna voit s’effriter au fil du temps son espoir de voir disparaître le nuage. Une perte d’espoir accentuée par la philosophie de Yago qui apprivoise sa vie avec le nuage et qui finit même par accepter et aimer cette nouvelle situation. Un antagonisme qui soulève un débat intéressant sur la liberté entre les personnages, nous rappelant que nous ne sommes jamais libres que de ce qui nous est possible.
Baignant dans une pâleur rose bonbon, l’appartement de Yago résonne comme un cocon protecteur qui permet au couple de se découvrir, de s’aimer et de s’épanouir. Toutefois, il devient rapidement une prison à laquelle il n’existe pas de porte, si ce n’est le tuyau mis en place à la fenêtre pour permettre les livraisons de courses. Dès lors, il ne reste aux personnages que deux moyens d’évasion, l’imagination qui permet à Giovanna et Yago de s’inventer de nouvelles personnalités pour raviver leur relation, et la technologie qui permet, outre la communication entre les personnes, l’évasion de la bulle de survie. Se noyant dans un monde fantasmé grâce à un casque de réalité virtuelle, Giovanna reconstruit des bribes de l’extérieur dans lesquelles elle oublie un avenir qui s’éloigne et une conclusion qu’elle sait trop dure à supporter. Une manière aussi pour Iuli Gerbase de nous rappeler que l’humain a besoin de ses interactions sociales et que l’isolement ne peut pas conduire à d’autres alternatives que la déchéance et la mort. Un constat dramatique qui semble également trouver sa solution dans un changement de la nature même de l’être humain. Que deviendrions-nous à vivre enfermés les uns avec les autres, nous débarrassant du corps de nos parents, de nos limites acceptables, de notre humanité ? Un ersatz de nous-même voué à disparaître ou une chose nouvelle ?

En conclusion, The Pink Cloud est une belle première proposition de Iuli Gerbase qui brille par son intimisme étouffant et sa capacité à invoquer ses thèmes avec délicatesse. Si la menace du nuage mortel gagnerait à être intensifiée et l’écriture à éviter ces quelques incohérences et facilités, on pardonne plus aisément ces dernières qu’elles ne sont que le prétexte au scénario et participent à créer une ambiance nécessaire au cadre de son récit. Pour le reste, inspiration prophétique ou hasard étonnant, les paris restent ouverts et on ne manquera pas de surveiller avec attention son prochain projet tant pour connaître ce qui nous attend que pour découvrir les capacités de la jeune réalisatrice qui s’annonce déjà prometteuse.
The Pink Cloud, écrit et réalisé par Iuli Gerbase. Avec Renata de Lélis, Eduardo Mendonça, Kaya Rodrigues… 1h44.
Sorti le 29 Janvier 2021.