Trois ans après son excellent L’Atelier avec Marina Foïs qui suit un groupe de jeunes dans un atelier d’écriture où parmi eux se trouve Antoine, figure d’une jeunesse qui va mal et a peur du lendemain, Laurent Cantet continue son exploration de la jeunesse et de ses problématiques. Cette fois-ci il s’attaque à la fosse aux lions que peuvent représenter les réseaux sociaux.
Karim D est la personnalité du moment. Son nouveau libre Débarquement est encensé unanimement par les professionnel·les du milieu et sa maison d’édition compte déjà des milliers de tirages et de réassorts à venir. Tout le monde veut prendre un selfie ou avoir un autographe, les plateaux télés et radios se l’arrachent et il fait la fierté des jeunes de quartiers à travers un bouquin qui retrace le parcours de sa mère immigrée. Tout semble lui sourire et pourtant, à quelques jours de la sortie officielle de ce qui est déjà qualifié comme un chef-d’oeuvre, une menace plane, qui risquerait bien de briser ce château de verre.
Les internautes sont vif·ves et à l’affût de tout ce qui pourrait prêter à scandale, encore plus avec l’ère numérique et notamment Twitter. Karim D en fait d’ailleurs bien vite les frais puisque les internautes ont déterré d’anciens tweets qu’il avait écrit sous le pseudonyme Arthur Rambo. Des tweets racistes, homophobes, antisémites et d’une abomination sans nom. Très vite la machinerie s’enraye et c’est toute la sphère médiatique qui s’empare de cette affaire. Coup dur pour la maison d’édition obligée de se désolidariser pour sauver son image, pour ses amis qui se refusent à le défendre, sa mère qui devient une victime collatérale mais surtout pour Karim obligé de composer avec ces problématiques tout en devant se justifier. Mais comment justifier des blagues faites sur les homosexuels ou les attentats ?

Laurent Cantet vient faire un constat sans jamais offrir de réponses, ce sujet étant bien trop vaste et n’ayant à ce jour toujours aucune solution. Est-ce que les avis que nous émettions il y a quelques années reflètent forcément notre pensée d’aujourd’hui ? Est-ce qu’un simple tweet d’une centaine de caractères peut définir une personne ? Aujourd’hui Twitter est certes un outil formidable de communication mais peut aussi envoyer les personnes dans les pires travers dont celle de la provocation gratuite faite pour réagir. D’ailleurs la sphère cinéma de Twitter en est un parfait exemple lorsqu’on voit certains tweets de vidéastes promouvant allègrement le piratage ou autres absurdités de ce genre. Nous sommes loins de tweets aussi virulents que ceux d’Arthur Rambo mais c’est finalement assez proche dans ce que ça veut raconter de la société d’aujourd’hui. L’instantanéité du tweet qui empêche parfois toute réflexion, l’anonymat que ce réseau propose et cette impression d’avoir un espace libre où l’on peut s’exprimer et déverser sa colère. À tort pour Karim qui tente de se justifier en expliquant que ce Arthur Rambo n’était autre que son double maléfique qui cherchait à repousser les limites du politiquement correct. Symptôme également d’une jeunesse en colère qui a besoin de s’exprimer quitte à choquer et à outrepasser tout sens de la raison.
Un véritable chemin de croix s’opère pour Karim sans que ce dernier ne devienne une victime ou un martyr. Ses messages ont été écrit en connaissance de cause, à lui d’assumer ses erreurs. Ne serait-ce pas ça que de grandir ? Finalement, Karim n’a que 22 ans. Peut-on réellement lui imputer des messages écrit lorsqu’il avait 15-16 ans ? Sans cautionner ses actes, Laurent Cantet pose aussi l’épineuse question des traces que ce genre de messages laissent et leur répercussion sur les nouvelles générations nées avec Twitter dans les mains. Un aspect brillamment incarné par le jeune frère de Karim dans une des scènes finales où ce dernier se reconnaît dans les tweets écrits par Arthur Rambo, chose qui permet à ce dernier d’enfin avoir ce déclic et de comprendre qu’il endosse une certaine responsabilité auprès des autres et notamment des jeunes de banlieue qui avaient enfin trouvé en lui un exemple à suivre. Toute une galerie de personnages gravite autour de Karim, ce qui permet de développer plusieurs avis pour ne jamais influencer le/la spectateur·ice. Sur un peu moins d’une heure et demie, Laurent Cantet arrive à brasser énormément de questionnements quant à la pertinence et aux répercussions des réseaux sociaux et ce qu’on y dit. Des répercussions professionnelles, personnelles mais aussi plus générales lorsque cela touche la sphère médiatique et politique où les différents partis s’en donnent à coeur joie pour faire de la récupération bien crasseuse.
Définitivement contemporain et actuel dans ce qu’il dépeint, Arthur Rambo offre bon nombre de pistes de réflexions quant à notre rapport aux réseaux sociaux, ce qu’ils peuvent nous apporter mais ce qu’ils peuvent aussi nous enlever en un clin d’oeil.
Arthur Rambo de Laurent Cantet. Avec Rabah Naït Oufella, Sofian Khammes, Antoine Reinartz… 1h27
Sortie le 2 février