Quelle grande année pour les femmes cinéastes mais aussi pour le cinéma français. En janvier Chloé Zhao remporte l’Oscar de la meilleure réalisatrice pour Nomadland, en juillet c’est Julia Ducournau qui remporte la Palme d’Or avec Titane et en septembre c’est Audrey Diwan qui est auréolée du Lion d’Or pour L’Évènement. Le film porte d’ailleurs plutôt bien son nom.
La loi Veil du 12 janvier 1975 est le signe d’une libération pour les femmes mais aussi la marque d’une évolution des consciences. Avant cela, l’avortement est un sujet tabou, passible de prison mais surtout dangereux pour les femmes enceintes qui doivent pratiquer cette opération de manière clandestine, seules ou avec quelqu’un du métier, mais surtout avec des moyens limités. La plupart du temps, ces femmes finissent par mourir dues à des complications. C’est dans ce cadre que s’inscrit L’Évènement. Adapté du roman éponyme et autobiographique d’Annie Ernaux, le film raconte l’histoire d’Annie qui, au beau milieu de ses études littéraires pour devenir professeure, tombe accidentellement enceinte. Il est impensable pour elle de garder cet enfant et de renoncer à ses rêves. Sauf qu’en 1960, personne n’est prêt·e à l’aider. Commence un véritable parcours de la combattante.

Audrey Diwan nous avait déjà agréablement surpris il y a quelques années avec son premier long-métrage Mais vous êtes fous qui dépeint un couple en crise avec un mari toxicomane et une femme incapable de s’en détacher. Avec ce second film, la réalisatrice nous confirme tout son talent et la sensibilité qu’elle est capable de mettre au service de l’histoire qu’elle raconte. Choisissant un cadre serré (1:37) et une caméra à l’épaule, elle nous enferme au plus près d’Annie. Le cadre empêche tout échappatoire, toute aide extérieure. Les différentes mises au point accentuent encore plus cette idée de solitude qui se crée alors qu’Annie porte seule ce fardeau de la grossesse. Lorsque le peu de personnes apprend ce qu’elle compte faire, ces dernières préfèrent l’abandonner de peur de se retrouver en prison.
Le temps défile différemment. Un compte à rebours correspondant aux nombres de semaines du fœtus devrait sonner comme un moment de joie et d’impatience, mais résonne ici comme un couperet prêt à tomber à n’importe quel moment. Il faut vite avorter avant que ce ne soit trop tard mais comment faire lorsque son médecin de famille ni même ses ami·e·s ne veulent l’aider ? Heureusement, Annie trouve une solution, ressort la tête de l’eau, respire. Cette accalmie n’est que de courte durée car la réalisatrice nous enfonce de nouveau la tête sous l’eau. Point de scène violente mais des sensations qui nous traversent le corps lorsque Annie se retient d’hurler de douleur lors de l’avortement (une scène d’une intelligence folle de par sa durée, ce qu’elle montre et ce qu’elle se refuse de montrer) ou lorsqu’elle pleure de douleur dans son lit.
Malgré toute la noirceur du sujet, le film est solaire. La photographie chatoyante nous enveloppe, la caméra embrasse le personnage d’Annie qui se découvre (autant physiquement que psychologiquement) en tant que femme et qui, malgré tous les obstacles qui se dressent sur sa route, continue sans cesse de se battre pour avoir le droit d’être ce qu’elle veut. À ce titre, il est aussi juste d’encenser la réalisatrice Audrey Diwan que son actrice principale Anamaria Vartolomei absolument éblouissante dans ce rôle, donnant corps et âme à ces milliers de jeunes femmes qui ont du avorter clandestinement.
Expérience physique éreintante, L’Évènement aura bien mérité son Lion d’or de part sa réalisation à fleur de peau, son interprétation magistrale et son sujet qui, rappelons-le, est encore tabou dans beaucoup de pays dans ce monde. Un choc saisissant et brillant.
L’Évènement de Audrey Diwan. Avec Anamaria Vartolomei, Kacey Mottet Klein, Luàna Bajrami… 1h40
Sortie le 24 novembre
[…] sommes-nous biaisé·es par notre découverte de L’évènement, plus frontal dans son traitement du sujet, et qui rappelle que le point principal de ce combat est […]