Qui est Jacques Vergès ? Épineuse question tant le personnage est plus que controversé. Né au Laos en 1924 d’un père réunionnais et d’une mère vietnamienne, il est très tôt plongé dans le monde politique puisqu’il participe à 12 ans à une manifestation du Front Populaire avant d’entamer – après son bac obtenu à 16 ans – des études de droit.
L’homme est politiquement engagé pour l’indépendance de l’Algérie mais ce qui le fait connaître du grand public ce sont ses clients : Klaus Barbie, Djamila Bouhired (avec qui il se marie par la suite), le terroriste Carlos ou encore Khieu Samphân (considéré comme l’un des trois dirigeants des Khmers Rouges). Se pose la question de l’angle choisi pour dépeindre cet homme. Loin de seulement se contenter du point de vue de l’avocat, Barbet Schroeder fait un véritable travail de recherches, de reconstitution et de confrontation des faits à travers un montage intelligent qui alterne les points de vue venant même parfois contredire ce qu’a pu dire Jacques Vergès quelques minutes auparavant. Point de complaisance mais une porte d’entrée pour mieux appréhender le personnage et comprendre comment il en est arrivé là.

Minutieusement, le documentaire retrace toute la carrière de l’avocat à travers ses plus grandes affaires et, par extension, ses plus grandes controverses dont l’affaire Djamila Bouhired d’abord condamnée à mort pour actes terroristes avant d’être graciée et de se marier avec son avocat. Schroeder n’oublie jamais d’inclure une dimension humaine à cet homme qui malgré ses convictions et ses prises de positions discutables, tient en lui un profond besoin de justice de par son passé de colonisé. Le portrait se fait dès lors plus large et nous offre des clés de réflexion quant au personnage sans jamais cautionner ou critiquer ses actes.
Mais Jacques Vergès c’est aussi – et probablement avant tout – un personnage fascinant mais énigmatique à bien des égards. En effet, entre 1970 et 1978, il disparaît. Aucune trace de lui jusqu’à sa soudaine ré-apparition en mars 1978. De grandes vacances comme il l’aime les appeler sans pour autant dévoiler où il se trouvait. Un secret bien caché pendant des années qui est sujet aux plus folles théories jusqu’en 2013 après sa mort où le réalisateur avoue au journaliste Mouloud Achour qu’il a épousé la cause palestinienne. “Il était avec Wadie Haddad, avec les Palestiniens les plus sanguinaires et les plus intelligents. Et le jour où Wadie Haddad est mort, deux jours après il était de retour à Paris” explique alors Barbet Schroeder. Un homme décidément surprenant, même après son décès.
Assis dans son bureau immensément grand et paradoxalement étouffant ou dans une salle de tribunal, Jacques Vergès a carte blanche pour s’exprimer, jouer des mots et de son indéniable capacité à s’exprimer. De quoi nous effrayer au départ, de peur d’avoir un portrait consensuel et complaisant avec un personnage qui a de quoi rebuter mais c’est sans compter sur le réalisateur et sa capacité à retourner les choses. En témoigne une fin extrêmement judicieuse où s’affichent les pires personnages politiques qu’a pu défendre Vergès avant de nous surprendre et de conclure sur une phrase de l’avocat qui vient redistribuer toutes les cartes quant à l’ambiguïté de la situation, du droit et du métier d’avocat.
L’Avocat de la terreur se vaut autant pour le portrait dense d’un homme difficile à cerner que pour le travail de portraitiste qu’effectue ici Barbet Schroeder avec un sens parfait du thriller politique saupoudré de drame (qu’il est presque surprenant de voir des images de Vergès fondre en larmes lorsqu’il entre dans une des cellules réservées aux condamné·e·s à mort). Personnage passionnant ou infect ? À vous de choisir.
L’Avocat de la terreur de Barbert Schroeder. 2h15
Sortie le 6 juin 2007