La tentative de relance des fameux Universal Monsters a été un total fiasco pour la firme. Leur univers partagé définitivement annulé, l’association avec les productions Blumhouse s’installe pour tenter de redonner une nouvelle vision à l’un de leurs mythes les plus flamboyants, L’Homme Invisible. Celleux qui sont capables, dans le film de genre, du meilleur (The Belko Experiment, Get Out) comme du pire (l’intégralité des American Nightmare, Ma, ou encore la purge Nightmare Island, sortie ce mois-ci…) font une nouvelle fois confiance à Leigh Whannell, dont le très surprenant Upgrade peut laisser présager du bon. Seul aux commandes scénaristiques, l’Australien s’empare du récit pour le transposer en thriller psychologique teinté d’horrifique.
Cecilia Kass tente de fuir sa relation avec Adrian Griffin, un riche scientifique qui la malmène, lui impose ses conditions de vie et, d’une certaine manière, la séquestre. Alors qu’elle parvient à fuir et se réfugie chez sa sœur, elle apprend qu’Adrian s’est donné la mort, lui léguant une grosse fortune. Sortant peu à peu de ses névroses et de sa paranoïa constante, Cecilia ressent comme une présence autour d’elle, se manifestant par des signes plus qu’étranges. Selon elle, son ancien amant n’est pas mort, et a trouvé le moyen, travaillant dans l’optique, de se rendre invisible pour venir la terroriser.
Une réadaptation intelligente et actuelle…
Ici, la figure de Griffin se voit modifiée, ne passant pas par le scientifique dépassé par son œuvre qui sombre dans la folie mais bien par un personnage d’ores-et-déjà instable, qui va se diriger vers l’invisibilité pour assouvir ses pulsions et sa folie. Tout est du point de vue de Cecilia, qui lutte contre un démon vengeur et un entourage hostile. On parle de relations toxiques, de ces victimes que l’on n’écoute pas, et qui par leur hystérie et leur capacité à sombrer dans la paranoïa totale – chose totalement compréhensible face à leur vécu -, se retrouvent face à des gens qui, ne pouvant réaliser l’ampleur des expériences que ces victimes ont subies, vont minimiser, voire ne pas croire tout simplement leurs dires. Cecilia se voit face à des obstacles dans toutes les strates administratives qu’elle doit affronter, laissant supposer que son calvaire n’est pas tel qu’elle le décrit tant Adrian a du la combler par sa richesse, qu’elle serait partie bien plus tôt si cela ne lui convenait pas, et toutes sorties d’idioties que l’on entend à chaque fois. Le choix d’Elisabeth Moss, qui n’en est pas à son coup d’essai pour les rôles de femmes semi-fortes semi-vulnérables – on pense aux excellentes séries Mad Men ou Handmaid’s Tale –, lui permet d’utiliser l’étendue de sa riche palette pour jouer avec les émotions contradictoires.

…Qui chevauche les genres avec maîtrise
Là où Invisible Man brille, c’est lorsqu’il utilise le contexte social, très actuel et ô combien important à aborder, en toile de fond, pour préférer le thriller psychologique au brûlot trop engagé qui pourrait s’enfoncer dans certaines lourdeurs. Il est évidemment question d’émancipation de la femme, d’assurance et de prise de consciences face à nos boulets, mais ces thématiques sont utilisées pour renforcer les personnages, et le métrage n’oublie jamais de nous plonger dans une épopée fantastique mêlée d’horreur. Avec l’invisibilité comme outil de jeu, point besoin de jump scares putassiers qui pourraient ternir la mise en scène, la présence d’Adrian et ses interventions se passent à l’intérieur du cadre, limitant les effets et détournant les codes auxquels nous sommes habitué·e·s. On pense, dans une certaine mesure, à la manière dont James Wan s’amuse à prendre le spectateur à revers dans ses Conjuring. Ce qui fait peur, ce n’est pas cet élément qui peut survenir, mais le fait de ne pas savoir si l’ennemi est présent dans l’unité de lieu que l’on observe, et ce à tout moment.
Conscient de ses limites horrifiques, le métrage se transforme en film d’action dès lors que les doutes se lèvent. Au moment ou quelqu’un d’autre parvient à voir l’homme invisible, le jeu de faux-semblants et de folie autour de Cecilia n’a plus lieu d’être, et il s’agit de stopper le monstre. Et là aussi, c’est la maîtrise qui s’empare de la caméra. On retrouve le réalisateur d’Update, qui parvient à distiller une mise en scène nerveuse, énergique, mais conservant le plan-séquence comme leitmotiv, et avec lui une action lisible, que l’on prend un malin plaisir à savourer. Les effets spéciaux, consistant à montrer des parties du corps d’Adrian maintenant que sa tenue est endommagée, font penser aux nombreux effets numériques que Paul Verhoeven s’amuse à disséminer à foison dans son Hollow Man (bien moins bon film par ailleurs, mais qui avait le statut de prouesse technique alors) et jouissent également d’une maîtrise absolue. Au-delà d’un twist quelque peu exagéré, et qui pouvait tout à fait être évité, même s’il procure un certain plaisir coupable, il n’y a pas d’ombre au tableau de cet Invisible Man.

La messe est dite. Si Universal veut relancer son catalogue de célèbres monstres avec brio, c’est en s’alliant avec des auteurs de talents, et en leur offrant confiance et liberté, qu’ils y arriveront. Invisible Man est une sacrée surprise, une de celles que l’on n’attendait plus. Un film entier, qui a le bon ton de fermer toute possibilité de suite – même si on peut toujours craindre la capacité des studios à en vouloir toujours plus -, et qui pourrait si succès relancer de nouvelles réadaptations de ces mythes que l’on aime tant. Un seul mot d’ordre, le stand-alone !
Invisible Man, de Leigh Whannel. Avec Elisabeth Moss, Oliver Jackson-Cohen, Michael Dorman…2h04.
Sortie le 26 février 2020
[…] reine de son procédé visuel, et joue de toutes ses séquences. À la manière d’un Invisible Man, Malignant ne joue plus de mystère envers son antagoniste une fois ce dernier dévoilé, et se […]