Commande de Mark Ruffalo pour Todd Haynes, Dark Waters vient éclabousser nos écrans avec un scandale politique impressionnant et inquiétant. Il s’agit là de l’occasion pour le cinéaste, déjà bien reconnu, de se prêter à l’exercice du thriller politique, et force est de constater qu’il s’y colle avec brio. Il raconte ici l’histoire de Rob Bilott (Mark Ruffalo), fraîchement nommé associé d’un grand cabinet d’avocat, spécialisé dans la défense des gros industriels, et contacté par Wilbur Earl Tennant (Bill Camp) qui lui signale que la société DuPont pollue ses champs en Virginie-Occidentale. L’avocat, hésitant, se lance alors dans l’enquête pour aider ce fermier, sans avoir conscience de l’ampleur de ce qui l’attend.
Si la curiosité nous empare à l’idée de voir Todd Haynes se mettre sur des rails aussi calibrés que ceux d’un genre hyper fréquent aux États-Unis – on pense autant à l’oscarisé Spotlight récemment qu’à l’excellent Les Hommes du Président – nos potentiels doutes sont vite dissipés. Certes, le cinéaste ne fait pas beaucoup plus que ce qu’on lui demande mais il fait ça avec une grande justesse tout en permettant à Ruffalo de briller. Les seconds rôles ne sont pas reste : de Tim Robbins qui se donne à fond à Anne Hathaway en femme forte en passant par un Bill Camp terrassant, la galerie de personnages déployée est aussi intéressante que bien écrite et interprétée.
On est alors embarqué dans cette histoire de pollution où l’axe emprunté est davantage celui de la santé que celui de l’environnemental, bien que ce volet soit intelligemment dévoilé au travers de scènes montrant l’impact des produits chimiques sur des animaux. Le rythme, bien que croissant – on est dans ce que l’on appelle un « slowburn » -, est soutenu et jouit de la structure narrative aboutie du métrage. Haynes livre une œuvre aussi implacable que limpide sur un scandale à la résonance grandissante à mesure que le film avance. Les genres évoluent et se mélangent. Là où l’on démarre avec un simple drame, des éléments de thriller viennent se greffer, joints par des segments de procès, le tout renforcé par l’aspect fresque qui se révèle à nous lorsque l’on comprend la dimension temporelle de l’affaire en question.

Le manichéisme est grandement de mise dans la caractérisation des personnages, entre un Ruffalo en avocat pur se convertissant progressivement à l’église de l’éthique et un Victor Garber – qu’on préfère ici en Phil Donnelly, magnat de l’industrie chimique, que dans les productions super-héroïques, cheap mais néanmoins sympathiques, de CW – méchamment méchant avec le profit en seule ligne de mire. C’est peut-être l’un des légers griefs que l’on peut avoir à l’égard du métrage, contrasté toutefois par les troubles familiaux engendrés par l’affaire sur Rob. Ceci, ajouté à une musique un poil trop présente dans la première partie rend le tout lourdingue par instants mais la maestria du cinéaste parvient quand même à opérer et nous immerger dans cette affaire retorse.
La leçon d’histoire est ainsi complète. La mise en scène classique mais d’une précision chirurgicale nous rappelle à quel point ce genre en apparence si éculé peut toujours être source de bons moments de cinéma. Dark Waters ne dépasse donc peut-être pas le cadre du thriller politique mais il s’avère d’une efficacité insolente et d’une grande nécessité. Glaçant et révoltant, il ronge peu à peu le spectateur, à l’image du C8 et les habitants de Parkersburg, en créant habilement un sentiment de paranoïa qui ne nous lâche pas une fois la salle quittée. Malgré ses faiblesses, quasi inévitables par le genre abordé, ses qualités le catapultent quasi immédiatement dans le haut du panier des productions américaines de ce début 2020 et au sommet des nombreux films historiques qui alimentent nos salles dernièrement. Todd Haynes ajoute une nouvelle belle corde à son arc et s’impose un peu plus comme l’un des réalisateurs américains les plus intéressants de ces dernières années.
Dark Waters de Todd Haynes. Avec Mark Ruffalo, Anne Hathaway, Tim Robbins, … 2h07
Sortie le 26 février 2020.
Qu’est-ce qu’un slow burn ? Je ne connais pas ce terme. Chouette article en tout cas.
De mon côté, la musique ne m’a pas gêné, au contraire, je l’ai trouvée plutôt discrète.