Lors de son passage au 44e Festival du cinéma américain de Deauville, nous avons eu l’occasion de nous entretenir avec Jim Cummings. Multi-casquettes sur son premier long-métrage “Thunder Road” (réalisateur, scénariste, compositeur, éditeur et acteur principal) – récompensé par le Grand Prix au Festival -, le jeune homme à la bonne humeur et à la passion communicative nous a parlé de sa première expérience en tant que réalisateur et acteur mais également sur ce qu’il pensait de l’industrie du cinéma vis-à-vis du cinéma indépendant.
Lorsqu’on jette un oeil à vos courts-métrages – absolument formidables au passage -, on retrouve toujours cet aspect tragi-comique qu’a votre personnage Jim. Qu’est-ce qui vous attire autant dans cet aspect des personnages ?
- J’ai l’impression qu’aux Etats-Unis, peut-être aussi en France je ne sais pas, au cinéma on a que des films qui sont des comédies ou que des drames. Je n’ai jamais vu des films qui abordait ces deux thèmes à part dans les Pixar comme Vice-Versa où tu pleures et tu ris en même temps et je trouve que c’est une épanouissante pour le spectateur lorsque tu arrives à avoir une vraie et profonde connexion avec le personnage principal. Honnêtement je pense qu’on devrait faire des comédies qui incluent une part d’humanité. On devrait être capable d’aborder des sujets sérieux tout en faisant des blagues dessus pour rendre ça moins douloureux et montrer aux gens qu’on peut rire de ça.
Dans le court-métrage lors de la cérémonie qui précède l’enterrement on entend la chanson Thunder Road, vous ne l’avez pas utilisé pourquoi ? C’est dommage, je suis certaine que le public aurait adoré vous entendre chanter !
- Pour le court-métrage, utiliser cette chanson a été un véritable calvaire. J’ai tourné le court-métrage sans demander de permission, ce qui est vraiment débile de ma part, puis nous l’avons proposé à Sundance mais tout ce que je voulais c’était pouvoir le mettre en ligne sur Vimeo ce qui signifiait que je devais montrer le court-métrage à Bruce Springsteen et ça a pris des mois. Je sais qu’il l’a vu, quelqu’un lui a montré donc j’ai décidé d’écrire une lettre et il m’a dit que je pouvais le mettre en ligne mais ça m’a pris un an ! Je ne voulais pas l’embêter de nouveau si j’utilisais la chanson dans le long-métrage. Pendant le tournage on a fait cette scène avec et sans la musique ce qui veut dire que j’ai du répéter pendant des mois auparavant. On a tourné cette scène dix-huit fois, neuf fois avec la musique et les neuf autres sans. À la fin de la journée lorsqu’on a monté tout ça on s’est rendu compte que la prestation était beaucoup plus forte sans la musique. J’ai dit à mon producteur : “Je ne pense pas que cette scène a besoin de musique”, et il a répondu : “Oui ne dérangeons pas de nouveau Bruce Springsteen !” [rires]
Jim n’a pas su dire au revoir à sa mère comme il l’aurait voulu, c’était maladroit, sincère mais maladroit, on l’a interrompu, on lui a demandé de retourner à sa place… Et à la fin du film [SPOILER ALERT] quand son ex-femme meurt, il lui dit au revoir et on remarque son changement d’attitude à la fin. Était-ce quelque chose de voulu ?
- Il est en colère contre son ex-femme qui vient de faire une overdose et c’est quelque chose qui va marquer leur fille pour toujours. Vous avez raison, il y a comme une sorte de conclusion avec ces adieux qui sont quand même horribles alors qu’il n’a pas pu dire au revoir à sa mère. Je pense qu’il avait besoin de foirer ses adieux avec sa mère, que ce soit quelque chose qui le hante, et d’ailleurs il lui dit enfin au revoir dans la scène dans le cimetière devant sa tombe.
Il y a cette notion de cercle de la vie qui revient d’ailleurs dans le film lorsqu’on apprend que la mère de Jimmy est professeur de danse et qu’à la fin du film vous emmenez votre fille voir un spectacle de ballet et qu’elle semble captivée par ce qu’elle voit, presque en train de tomber amoureuse à son tour.
- Pour moi il y a deux histoires qui se dégagent de “Thunder Road” : l’une c’est celle décrite par la chanson de Bruce Springsteen qui dit que si tu es malheureux tu dois convaincre la fille de monter en voiture et partir loin d’ici pour être heureux et que ce n’est pas grave si tu n’es pas heureux dans cette ville et je savais que le film devait se terminer par cette idée. “Thunder Road” c’est aussi une question d’éducation. Lorsque Jimmy parle de sa relation compliquée avec sa mère, il ne veut pas avoir la même chose avec sa fille et c’est réjouissant de constater qu’à la fin du film il y arrive. C’est aussi une référence à l’histoire que sa soeur lui raconte un peu plus tôt dans le film où leur grand-père a emmené leur mère à un ballet et qu’elle en est tombée amoureuse, c’est une ligne parmi tout un dialogue et on y fait pas forcément attention mais à la fin du film lorsqu’il emmène sa fille au ballet ça lui revient en pleine figure. Il s rend compte que l’histoire se répète et je trouve que c’est à la fois l’une des scènes les plus tristes mais en même temps réjouissantes que n’importe quel parent peut expérimenter. C’est clairement mon moment préféré.
La relation qu’entretient Jimmy avec Nate – joué par Nican Robinson – est extrêmement importante et c’est même lui qui vient le sauver lorsqu’il est au plus bas, pouvez-vous nous parler de ce personnage ?
- Nate c’est vraiment cet ami qui vous pardonne tout et qui vous aime peu importe ce qui vous arrive. J’ai de la chance parce que j’ai plusieurs amis comme ça, lorsque j’étais en plein divorce en 2014 et que j’étais au plus bas et dépressif, qui m’ont aidé en traînant avec moi sans avoir aucune raison de le faire et qui étaient juste là pour me soutenir en fait. Et c’est vraiment quelque chose de touchant. Lorsque je bossais avec Nican [Robinson], il a compris le rôle et a vraiment fait de l’excellent boulot, d’ailleurs c’est devenu un très bon ami. Nous nous connaissions un petit peu avant le tournage du film, après on a vécu le tournage ensembles et on a réussi à montrer ça à l’écran. Et pour le public c’est rassurant de se dire que tout ne va pas mal dans sa vie et qu’il lui reste au moins cet ami.
Vos choix de cadrages et de mise-en-scène sont très intéressants. On est très centrés sur Jimmy quitte à coque la caméra oublie les autres, on aperçoit quasiment jamais la réaction des gens lors de l’enterrement, sur le parking… et c’est quelque chose qu’on retrouve aussi dans vos courts-métrages je pense notamment à “Parent Teacher”. Pourquoi ce choix ?
- La seule fois que j’ai eu cette discussion avec un cinéaste c’était pour le court-métrage “Thunder Road” où il me disait que c’était ok de ne pas voir la réaction des gens. Pour le long-métrage, mon producteur me disait qu’il faudrait peut-être montrer la réaction des gens notamment lors de la scène de la cérémonie mais je me suis rendu compte que peu importe la manière dont on filmait la réaction des gens dans la pièce, ça allait forcément influencer la réaction du spectateur et leur donner des pistes pour savoir si le film était une comédie ou un drame. Si on ne montre la pas la foule ou tout autre plan, le public est obligé de réfléchir et doit essayer de comprendre ce qui se passe.
Votre façon de jouer me rappelle le jeu de Jake Gyllenhaal pour sa sensibilité mais aussi Jim Carrey pour le côté clownesque, derrière la masculinité il y a une vraie fragilité qu’on voit tout au long du film. Comment est-ce qu’on trouve l’équilibre entre le drame et le comique sans basculer dans l’un ou l’autre ?
- Tout est dans la performance. Vous avez évoqué Jake Gyllenhaal et j’adore cet acteur. C’est quelqu’un qui crie beaucoup. Lorsqu’on a tourné la scène sur le parking où mon personnage crie non stop, j’avais en tête Jake Gyllenhaal ou Leonardo DiCaprio. Je voulais une prestation très intense tout en la contrebalancent avec une vanne où on voit mes fesses à la fin quand je pars. On a énormément répété et lorsque ça faisait trop sérieux ou au contraire trop “Jim Carrey” alors on savait qu’on se trompait. Il y a eu des centaines de répétitions avant d’avoir ce résultat final.
Votre rôle est très intense par moment, je pense notamment à cette scène sur le parking lorsque Jimmy pète un câble. Ça demande une implication physique e psychologique très importante. Comment on gère cet afflux d’émotions devant la caméra tout en gardant le sérieux et le professionnalisme derrière la caméra ?
- J’ai vraiment deux attitudes différentes. En tant que réalisateur je cours de partout, je vérifie que tout va bien et lors que je deviens acteur et que je suis devant la caméra je reprends mon sérieux et je fonce. Mais pour la scène sur le parking on a eu de la chance parce qu’on avait plusieurs heures pour tourner cette scène. On a d’abord tourné les scènes où je me bats, où je déchire mon pantalon puis on a consacré le reste de la journée à la scène où je fais mon monologue. On a tourné les autres scènes en premier, ensuite on a mangé et juste après je suis allé m’assoir dans la voiture de mon producteur pour écouter des chansons tristes et regarder des photos des princes William et Harry lors de l’enterrement de la Princesse Diana – c’est toujours ce que je fais lorsque je dois pleurer -, je me suis mis dans un état de profonde émotion puis je suis descendu de voiture. Les acteurs et l’équipe étaient déjà en place, ils n’avait plus qu’à filmer. J’étais sur le parking un peu plus loin, dès qu’ils m’ont vu arriver ils ont tout de suite enregistré et c’était parti. On a tourné le monologue deux fois et on a gardé la première prise. Par contre à la fois de la journée je n’avais plus de voix ! [rires]
Vous êtes le réalisateur, le monteur, le compositeur et l’acteur principal du film. Pourquoi ce besoin de tout contrôler ?
- Je n’avais pas d’argent, c’était la cause principale. C’était une nécessité pour moi de monter le film, d’avoir de la musique… Je devais finir ce film donc je n’avais pas vraiment le choix. Cependant je pense que même si tu as l’argent, si tu engages quelqu’un que ce soit pour un petit travail ou un plus gros, tu dois te battre et toujours vérifier que ces personnes ne rendront pas ton film mauvais. Dans le passé, j’ai souvent donné du travail à d’autres personnes que je ne connaissaient pas tellement et qui ont fait un film correct ce qui n’aurait pas été le cas si j’y avais mis le temps et l’effort pour le faire à leur place. J’étais celui qui se préoccupait le plus du projet finalement.
Faire du cinéma aujourd’hui est devenu compliqué pour se faire une place, pour trouver des financements, les studios préfèrent jouer la sécurité… Vous même ça a été compliqué pour faire Thunder Road, vous avez lancé un kickstarter… Qu’est-ce que vous pensez de l’industrie du cinéma en ce moment ? Est-ce qu’elle décourage les jeunes cinéastes ?
- Oh que oui ! C’est leur boulot ! S’ils peuvent te décourager de faire ton propre film ils le feront. Les agences, les managers, les studios… leur boulot c’est de dévaluer les films indépendants et de vous dire que si vous voulez réussir il faut suivre leurs règles. De nos jours on peut faire un film avec un téléphone avec tes amis dans le jardin. Regardez on est en France avec notre film alors qu’on l’a fait en pyjama comme si on était en colonie de vacances. Honnêtement cette industrie est terriblement décourageante pour les jeunes cinéastes qui veulent se lancer. C’est pour ça que sur Twitter je veux les encourager et leur dire de faire leurs films. Je n’ai jamais eu d’encouragements ni d’aide et c’est pour ça que je veux aider maintenant. C’est un système compliqué maintenant et c’est le problème d’Hollywood qui flippe parce qu’ils voient leur job leur filer entre les doigts par des gamins comme moi qui font des choses qui sont finalement pas trop mal.
Des projets futurs ?
- Je suis en pourparler avec un grand studio, je suis à deux doigts de signer un contrat pour un film d’horreur à propos d’un loup-garou. C’est déjà écrit et ce sera très drôle. Ce sera comme “Thunder Road” mais avec un loup-garou ! Ce sera différent de mon premier film mais je jouerai également dedans et je vais probablement le monter aussi. J’espère que je ferai pas la musique par contre. Ça ce sont les gros projets mais honnêtement je suis plus intéressé par ce que je fais avec mes amis et qui ne coûtent pas beaucoup.
Les grands studios c’est pas vraiment votre truc ? Vous préférez les choses plus intimes avec votre entourage ?
- C’est authentique. Le reste ça fait juste partie d’un rêve éveillé. Si je peux faire des films moi-même et les mettre en ligne alors là ça devient une véritable pub pour nous les cinéastes et à ce moment-là n’importe quel studio peut venir nous aider, que des gens peuvent nous financer… Franchement je suis un athéiste d’Hollywood, je ne pense pas qu’ils existent vraiment et qu’ils aident d’’autres personnes qu’eux-mêmes entre eux. Je n’attends pas les autres pour venir nous aider à faire un film.
Thunder Road de Jim Cummings est en salles le 12 septembre.
Merci à BossaNova pour avoir organisé cette entrevue.
[…] il était presque logique que celui qui défend corps et âme le cinéma indépendant et qui se dit athéiste d’Hollywood fasse un film dénonçant ses aliénations. On connaît le personnage, son ton qui oscille entre […]
[…] Lorsque nous avions rencontré Jim Cummings en 2018, il nous avait déjà fait part de ce prochain projet, à savoir un film de loup-garou. Exit les petits moyens et la quasi-auto-production pour travailler avec la MGM sur The Wolf of Snow Hollow. Une expérience bien différente où le réalisateur/scénariste/acteur n’avait pas le libre arbitre et avait un cahier des charges à respecter (notamment des scènes obligatoires imposées par le studio) comme il nous l’explique lors du Q&A après la séance. Néanmoins, le film est loin d’être dénué de sa patte habituelle. […]