Le road-movie est un genre particulier. À travers le mouvement, il symbolise généralement un cheminement interne pour le personnage et amène une multitude de réflexions. Parfois, il peut aussi simplement montrer le quotidien d’un homme en quête d’évasion spirituelle, à l’image de Jinpa, un conte tibétain, le nouveau film de Pema Tseden.
Jinpa est un routier on ne peut plus classique. Il parcourt les vastes plaines désertiques, s’arrête pisser, fume, écoute de la musique et pense avec mélancolie à sa fille, son rayon de soleil. Pourtant quand, après avoir écrasé un mouton, il prend avec lui un auto-stoppeur semblant égaré, il ne sait pas qu’il s’apprête à être chamboulé, ce qui se passe quand cet homme, s’appelant Jinpa également, lui annonce qu’il va tuer l’homme qui a assassiné son père, à lui, il y a plusieurs années.
Produit par Wong Kar-wai, le film s’inscrit dans l’héritage formel de ce dernier sans que l’auteur n’y délaisse sa personnalité. Pema Tseden opte pour un métrage quasi-intégralement diurne, rural, en pleine nature même, et dénué de toutes lumières artificielles type néons. Ce choix esthétique associé au format 1,33 resserrant l’image tout en apportant de la profondeur donne une puissance folle aux images sublimement photographiées. On se perd alors aux côtés de Jinpa au milieu de ces étendues d’une blancheur pure mais étouffante et l’on ressent le temps avec lui dans une première partie quasi contemplative. Le récit est jonché de petites péripéties d’apparence anodines mais qui en disent long sur l’état d’esprit du protagoniste qui, malgré ses allures de cowboy un peu rustre, paraît empreint de religiosité et profondément marqué par tout ce qu’il voit et vit.

On va alors le suivre tenter de rattraper son homonyme pour on ne sait quelle raison mais ce n’est pas ce qui compte. Ce qu’il découvre, au travers de flash-back stylisés rappelant certaines scènes du fameux Les Anges Déchus de Wong Kar-wai, est un sentiment de liberté et de courage. L’aspect visuel de ces fragments passés dénote d’ailleurs grandement du reste du métrage et représente bien leur esprit évasif. On est projeté hors du temps, et la séquence finale vient parachever ce travail développé en filigrane lors des déambulations vécues. Cela dit, et malgré l’envoûtement qu’il exerce sur le spectateur, le film met un certain temps avant de nous happer. Si les dix premières minutes étonnent par la radicalité de la forme – plans fixes longs ne mettant en scène le quotidien du routier – le charme peine à vraiment faire effet car on a du mal à voir où le cinéaste tibétain essaie de nous emmener. L’œuvre est donc assez aride, à l’instar de son décor, mais une fois l’intrigue principale bien installée, ce qui n’arrive pas si tard, on se laisser aller et le temps jusqu’alors presque trop ressenti passe en un clin d’œil.
Jinpa, un conte tibétain est donc surprenant. Pouvant laisser fortement perplexe, il dispose toutefois d’une palette visuelle d’une grande richesse et d’une dimension mystico-sensorielle, qui si elle fait mouche sur le spectateur ne le quitte plus. Avec Jinpa, on s’aventure dans une rêverie fugace mais intense et, en l’espace d’un peu moins d’une heure trente, on fugue spirituellement vers un monde différent de celui qui nous entoure.
Jinpa, un conte tibétain de Pema Tseden. Avec Jinpa, Genden Phuntsok, Sonam Wangmo, … 1h26
Sortie le 19 février 2020.