À Strasbourg, et à la nuit tombée, plus personne ne peut vous entendre crier. Du moins, c’est le souhait le plus cher de Robert, qui parcourt les rues alsaciennes en quête de contenu vidéo pour humilier les soiffard·es, faire réagir, et annihiler toutes les nuisances sonores nuptiales. Armé de sa caméra, il filme ces « indésirables » et rêve d’une capitale européenne plus reluisante, d’une « Strasbourg aux strasbourgeois », débarrassée de ce fléau humain qui s’amuse le soir.
Personnage créé de toutes pièces, ce Robert a tout du connard absolu, qui nous ferait renier nos vœux de non-violence en un clin d’œil. Il faut d’ailleurs un certain temps pour se détacher du faux-réel de ce « documenteur » tant il nous paraît crédible, et surtout tant, hors de l’exagération volontaire qui prête à sourire, on a tou·tes ce genre d’enflure dans notre entourage. Que ce soit le tonton raciste qui illumine les repas de famille par ses pensées réactionnaires, le collègue de travail bien beauf qui pense tout connaître mieux que nous, ce voisin que l’on préfère éviter mais qui semble nous attendre tous les jours dans la cage d’escalier, on connaît tous un Robert. On jubile devant un tel portrait moqueur qui nous rend hilare, mais une gêne persiste face à la réalité de certaines mentalités.

Dans ce documentaire immersif, Rock Brenner ne lésine sur aucun moyen pour mener sa description au paroxysme. On rencontre la « Team Robert », ces riverain·es strasbourgeois·es qui soutiennent son combat à cause des problèmes que leur cause ce bruyant voisinage. De celui rêvant de tirer au canard bourré depuis sa fenêtre à celleux qui peinent à concevoir leur enfant car les bruits de beuverie créent des problèmes érectiles à Monsieur, tout est évidemment très exagéré mais crédible, à l’instar des témoignages des « victimes » de Robert en introduction. Mais c’est à mesure que l’on avance que l’on réalise ce qui se cache derrière cet humour décapant. La scène du repas avec les ami·es de Robert, par exemple, est signifiante, et rappelle ces repas de famille où l’on se heurte aux jugements, toujours intrusifs et inconvenants, de celleux que l’on est contraints par défaut d’appeler « proches ». Un cynisme qui fait bien moins sourire tant il est grinçant, et qui ramène ce portrait dans un réel bien trop palpable.

La Capitale Du Bruit s’illustre surtout par son jusqu’au-boutisme. On s’extasie lorsque les réalisateurs suivent Robert dans ses virées nocturnes, cherchant la ratonnade, et ses nombreuses altercations où il se tourne en ridicule, montrant que malgré des groupuscules quant à eux bien dangereux, le fasciste est souvent seul. On croit surtout étonnamment à ce personnage, par sa ressemblance avec nombre de profils indésirables que nous croisons au quotidien, mais aussi par la qualité du portrait brossé, n’hésitant jamais à aller dans les détails pour faciliter une immersion, nous donner l’impression d’être devant un vrai documentaire. En cela, l’expérience reste inédite, et sacrément plaisante.
La Capitale Du Bruit, de Rock Brenner, Stéphane Bernard et Arnaud Delecrin. Avec Stéphane Bernard, Diane Breuil, Nicolas Baron….1h35
Film de 2017, disponible sur Outbuster