Attachez vos ceintures, prévoyez vos airbags, la course d’aujourd’hui ne fait pas dans la dentelle. Il y a de fortes chances d’y laisser ses propres plumes, pilotes comme assistant·es, par la conduite dangereuse et effrénée qui est requise, mais aussi par les nombreux carambolages à venir. Au-delà des cinq candidat·es qui s’affrontent sur l’asphalte, et doivent traverser l’immensité du pays de l’Oncle Sam, quelques points supplémentaires sont à gagner, en tuant quelques piétons, par exemple.
Futur dystopique, où “Monsieur Président” règne en maître sur les États-Unis depuis 21 ans, peu de choses semblent attrayantes dans l’univers qui nous est proposé, malgré le ton léger du métrage, et sa satire qui suinte par tous les pores. Si l’on s’amuse lors des présentations des divers·es concurrent·es – jusqu’à Matilda, la fusée nazie –, le rire se jaunit dès que les premiers meurtres surviennent et nous font comprendre la réalité politique. Le ton reste comique, notamment grâce aux mimiques du patibulaire Sylvester Stallone, mais on décèle rapidement une problématique de fond, qui moque l’entertainment à l’américaine, ne reculant devant rien pour satisfaire des audiences toujours plus assoiffées de sensation, tout en conservant des notions sensationnalistes dans la mise en scène. Il est amusant de voir que le film tente de nous faire réfléchir, à la manière d’un American Nightmare – en beaucoup mieux, on le concède – sur les violences banalisées, quand les mises à mort sont aussi graphiques, et nous rendent un sentiment si galvanisant. Une douce ironie qui joue avec notre plaisir d’assister aux mêmes exactions que nous condamnons.

Futur habitué des films de bagnoles, Paul Bartel ne lésine pas devant la quantité de cascades qu’il met en œuvre. Lorsque l’on réalise que le tout est produit par Roger Corman, pape des métrages composés avec trois francs six sous, on n’en sort que plus impressionné·e par la débauche visuelle, La course à la mort de l’an 2000 étant toujours jouissif à regarder et ne dissimulant pas ses effets derrière son manque pourtant évident de budget. Explosions, corps qui se décharnent sous les roues des véhicules, l’expérience devient viscérale tant elle ne s’arrête jamais. Chaque séquence propose un nouveau contexte d’humour noir, qui nous fait autant grincer que jubiler. On pense à la “journée nationale de l’euthanasie”, où les soignant·es placent en ligne les petit·es vieux·vieilles devant leurs institutions pour que les voitures viennent les écraser, les empaler. Quelques points en moins face à ses adversaires ? Reculez sur le mécano lorsque vous passez à la révision, ou écrasez le présentateur de la retranscription télévisée, ça rajoute du beurre ! Dans ce contexte meurtrier, qui ne prend que peu de temps pour présenter ses protagonistes, ces derniers sont identifiés par des archétypes, qui nous laissent entrevoir rapidement leur personnalité et leur capacité à agir sans foi ni loi. C’est “Frankenstein”, vainqueur régulier, renommé ainsi au vu des nombreuses scarifications et autres opérations chirurgicales qu’il a subi pour pouvoir encore piloter, qui apparaît rapidement comme le héros de l’intrigue, et sur lequel vont tourner les principaux enjeux. Car qui dit satire dit évidemment dénonciation politique, et si cette dernière garde la même tonalité loufoque que l’univers présenté, elle n’en reste pas moins vive.
Rare personnage noble de l’aventure, Annie, la navigatrice de Frankenstein, s’avère être une membre infiltré d’un collectif révolutionnaire bien déterminé à faire annuler la course et renverser le pouvoir et démontrant son absurdité. Le pilote, séduit par l’idée, devient porte-étendard d’un combat qu’il n’imaginait pas, et voit la lutte se construire autour de lui, de son image. Une thématique intéressante, et une critique acide d’un système finalement pas si éloigné de celui déjà en place – les États-Unis viennent de se tirer de la mégalomanie de Nixon, président se rêvant au pouvoir à vie – mais qui ne reste malheureusement qu’annexe dans ce qui s’avère être un récit pulp à la fonction divertissante. Pire, le récit perd de sa force lorsqu’il s’enfonce dans de la romance de bas étage, plus destinée à dénuder ses personnages féminins – on sait Corman coutumier du fait, nos cauchemars du Vampire de l’espace resurgissant de temps à autre – qu’à apporter un propos et une réelle profondeur aux personnages. Un pari tenu dans sa forme, mais qui cache une idée que l’on aurait aimé plus présente, plus acerbe encore.

La course à la mort de l’an 2000 montre une Amérique décrépite, en proie aux crétin·es devenu·es icônes, sacrifié·es avec fort volontariat sur l’autel du divertissement macabre. Un rappel aux joutes romaines qui mettaient à mort leurs gladiateurs pour le plaisir d’une foule en délire, bas instinct qui n’a jamais réellement quitté l’espèce humaine. Coupable de luxure visuelle mais diverti à outrance, le public sort conquis d’une pilule d’adrénaline mise en scène avec brio, pour ce qui reste l’un des nombreux ovnis – aussi improbable que c’est Tak Fujimoto qui assure la photographie – moquant le nouvel Hollywood tout en s’imprégnant de sa dimension auteurisante.
La course à la mort de l’an 2000, de Paul Bartel. Écrit par Robert Thom et Charles B. Griffith. Avec David Carradine, Simone Griffeth, Sylvester Stallone… 1h20
Sorti le 16 juin 1976