Marguerite de France, dernière des Valois, est sans aucun doute l’une des figures les plus emblématiques et connues de l’Histoire de France. Diffamée par les uns, acclamée par d’autres, Dumas la fait passer au rang d’icône dans La Reine Margot et crée sa légende noire par la même occasion. Reprenant sans vergogne les rumeurs véhiculées par les ennemis de Marguerite à son époque, le livre la dépeint comme atteinte de tous les vices, de la luxure à l’inceste en passant par la trahison, et c’est également ainsi que choisira de la représenter Patrice Chéreau dans son film qui, presque trente ans après sa sortie, continue à faire couler beaucoup d’encre.
Œuvre à l’ampleur gargantuesque, La Reine Margot plonge le public dans la France du XVIe siècle, déchirée par les guerres de religion entre protestant·es et catholiques. Patrice Chéreau choisit de reprendre la structure du roman de Dumas qui couvrait toute la période entre le mariage de Marguerite et de Henri de Navarre (brillamment interprété par Daniel Auteuil) et la mort de Charles IX quelques années plus tard. Le récit laisse pleinement place à la théâtralité, ce que le réalisateur ne se prive pas d’exploiter dans un scénario riche en répliques marquantes. Il y a des airs de tragédies shakespearienne dans les couloirs du Louvre que les acteur·ices arpentent sans relâche et si les rôles secondaires font légion, c’est bien la reine Margot qui reste constamment au premier plan.
Toute la dimension du personnage de Margot pourrait se résumer par ses costumes, rivalisant chacun de beauté, mais très parlant au niveau de la symbolique. En effet, si le nombre et la diversité des robes portées par Isabelle Adjani tout au long du film peut impressionner, on remarque très rapidement que chacune se caractérise par la présence de rouge, couleur des Valois et par extension, de la mort. C’est le rouge qui prédomine pendant la fameuse scène du mariage de Margot et Henri, de manière si outrageuse que cela en devient presque ridicule. Le rouge représente l’héritage maudit de la famille de Margot, héritage qui la maintient constamment entre deux camps et qui l’empêche de connaître la paix à laquelle elle aspire. Le rouge est la couleur du fard qui tue la maitresse d’Henri (meurtre commandité par les Valois) et qui souille le Louvre après la Saint-Barthélemy. Les rares fois où Margot tente de se soustraire à l’influence de sa famille, tout lui revient en pleine tête. On pense notamment à la scène de la mort de Charles IX, vers la fin du film, où Margot, vêtue d’une robe blanche et prête à quitter Paris pour la Navarre, choisit de rester avec son frère et se retrouve symboliquement couverte de son sang.

La grande force du film réside notamment dans sa capacité à rendre l’Histoire vivante et immersive pour l’audience, de par sa mise en scène et ses décors. L’événement charnière du film, le massacre de la Saint-Barthélemy, est parfaitement représenté à l’écran et c’est peut-être la première fois qu’un spectateur·ice, connaisseur·euse ou pas, peut prendre pleinement conscience de son horreur absolue
Aussi merveilleux dans ses décors que dans sa mise en scène, le film tient très bien tout seul en tant qu’œuvre de cinéma mais cependant, on ne peut s’empêcher de grincer des dents devant l’écriture de Margot, victime de plein fouet du male gaze qui peuple bien malgré lui le métrage. La reine est ici représenté dans toute la luxure que ses ennemis lui prêtaient et il est terriblement dommage de voir s’effacer la femme de lettres accomplie et en avance sur son temps derrière la créature lubrique atteinte de tous les vices que Patrice Chéreau choisit de dépeindre. Il n’est absolument pas nécessaire de changer la vie de Marguerite pour en faire de la dramaturgie et dans ce cas-là, la solution aurait été de pleinement assumer le côté fictionnel par de petits détails qui différencient bien la réalité de l’invention. Là où Dumas reprenait par exemple les accusations incestueuses de la reine Margot en sous-entendu, le réalisateur ne prend pas de pincettes et choisit toujours de jouer sur l’explicite.

Plus de vingt-cinq ans après sa sortie, La Reine Margot de Patrice Chéreau reste un film assez délicat à aborder. Chef d’œuvre absolu dans sa narration comme dans sa mise en scène et ses visuels, le réalisateur propose une plongée extraordinaire dans un des moments les plus captivants de l’Histoire de France. Mais si la Margot de Chéreau reste un personnage aussi complexe que fascinant, elle reste cependant bien éloignée de la réelle Marguerite, ce qui serait moins regrettable si cette vision n’était pas aussi ancrée dans le male gaze…
La Reine Margot de Patrice Chéreau. Écrit par Danièle Thompson et Patrice Chéreau. Avec Isabelle Adjani, Daniel Auteuil, Jean-Hugues Anglade… 2h42
Sorti le 13 mai 1994