Ah, la période des fêtes, merveilleuse saison prodiguant les mêmes téléfilms repassant en boucle à la télévision mais qui arrivent à réchauffer les cœurs refroidis par la saison (ou l’année entière, c’est selon). Certains ont su tirer des œuvres intemporelles comme Gremlins, La vie est belle, Piège de cristal et il est évident qu’un réalisateur aussi joueur avec les émotions que Robert Zemeckis ne puisse qu’être motivé à ce sujet. Il aura d’ailleurs tiré deux films sur la période de Noël, deux expérimentations sur la performance capture qui captivent malgré les traits des années : Le Pôle Express et notre sujet du jour, Le drôle de Noël de Scrooge.
Ebenezer Scrooge est un être radin et déshumanisé, aussi peu marqué par le décès de son associé que par la pauvreté de son employé. Le soir de Noël, il va néanmoins être confronté à ses travers par le biais de trois fantômes : celui des Noëls passés, celui du Noël présent et celui des Noëls futurs…
Quand Robert Zemeckis se lance dans le domaine de la performance capture, il le fait en gardant en tête un impératif financier derrière les prouesses amenées par la technologie. Sa « trilogie » s’avère cohérente en ce sens, commençant par une œuvre de fêtes pour enfants, un film guerrier et épique et enfin cette adaptation du roman de Charles Dickens, surfant aussi bien sur le familial qu’un effroi encore marquant (et pas seulement par certains aspects graphiques un peu datés). Les décisions tonales du film détonnent, notamment dans le traitement des fantômes, de l’acceptable tout public au tout bonnement terrifiant.
La mise en avant de cette figure est d’ailleurs passionnante d’un point de vue extra diégétique. Zemeckis traite ainsi ses esprits, connus pour leur absence de matérialité, par le biais d’une technique reposant sur ce besoin de présence physique dans un milieu purement numérique. Au vu de la façon dont les spectres jouent un rôle, direct ou non, dans la filmographie de Zemeckis, on peut trouver des liens à faire sur le but révélateur du fantôme, le vivant portant en lui les séquelles de ces êtres trépassés, leur permettant même de subsister plus longuement. Cette double fonction, aussi bien dans la diégèse qu’à l’extérieur de celle-ci, permet un regard fasciné qui passe les travers du temps.

On pourrait en effet argumenter sur la qualité de l’animation, oscillant entre l’optique d’un photo réalisme et d’une stylisation amenée rapidement par une transition entre un corps dessiné et sa version en trois dimensions. C’est cette approche qui convient le mieux, certains traits dégageant un aspect factice peu avenant là où certaines idées sont brillantes d’esthétique (le troisième fantôme). On repassera sur le premier fantôme, clone d’un Emmanuel Macron aussi illuminé que le président français mais dont le design joue sur la nature éphémère de la bougie, représentative du temps passé et d’une lumière qui ne peut qu’aller vers une fin, celle qui nous conduit tous vers l’inéluctable.
L’ancrage de Scrooge dans ces moments où il devient lui-même fantôme d’une existence qu’il n’a pas réellement menée s’avère alors tragique, témoin passif d’une vie qui lui échappe, de personnes qui ne peuvent malheureusement pas soutenir plus cet être tout en égoïsme. Les regrets qui prennent vie deviennent ectoplasme nourri par ces errances qui nous sont propres, surtout dans un univers où l’argent s’avère meneur de décisions hasardeuses mais surtout destructrices. En refusant à son propre associé les pièces lui permettant de passer vers l’au-delà, Scrooge ne fait que montrer l’irrespect de la finance envers les êtres, et ce, jusqu’à la mort.

La déshumanisation d’un milieu économique où l’on recherche la richesse jusqu’à une obsession irrationnelle continue de traverser le film, en plus de nombreux doutes permettant à Scrooge de retrouver une existence épanouissante. S’affranchir de son besoin autocentré de l’argent, lui permettant de trouver une humanité mise de côté depuis trop longtemps mais néanmoins encore présente. Loin du mièvre auquel on raccroche souvent Disney, c’est l’espoir de rédemption qui illumine le film de Zemeckis, maître du merveilleux qui ose jouer de sa technique pour appuyer la rédemption de son personnage principal. En ce sens, la prestation de Jim Carrey s’avère intéressante, évitant d’aller dans le trop cartoonesque pour appuyer toute la dramaturgie derrière son interprétation.
Comme Scrooge finit par s’émanciper de son besoin de s’enrichir, Zemeckis se libère des attentes entourant une telle adaptation dans un univers aussi marqué par les carcans, pour mieux aborder toute la terreur derrière l’histoire de Dickens. Bien que l’on sache le “happy ending” inévitable, cela n’annule en rien la tristesse de se voir passer à côté des choses qui comptent ou retrouver pour un court instant les personnes marquantes et les voir disparaître aussitôt dans une même amertume. Le film confronte chacun à la peur de la mort et de ce qu’elle nous fait laisser derrière. Se voir rappeler que nos actions, nos rapports, nos pensées, influent l’image que l’on laisse derrière : quel fantôme laissera t-on derrière nous ? Est-ce que l’évocation de notre nom fera penser à des moments heureux, de bonheur pur qui ne pourront jamais être enlevés ? Est-ce que cela sera plutôt l’ombre de remords, d’actions non concrétisées et de souvenirs tristes ? Ou, pire encore, deviendra-t-on une simple illusion d’être, un moment fugace effacé aussi rapidement que l’on sera apparu ?
L’étincelle avec laquelle nous laisse ce Drôle de Noël de Scrooge nous illumine avec espoir, celui de reprendre en main notre vie et la possibilité de devenir l’être que l’on souhaite. La réhabilitation qui s’y dessine a beau pouvoir sonner simple, son humanité ne peut être niée. Voir alors que ces personnages ne sont pas de chair mais véhiculent autant d’émotions réchauffe le cœur avec une chaleur que l’on espère partager. Si ce long-métrage ne constitue en effet pas le chef d’œuvre de Zemeckis, il dégage assez de talent et de sentiments pour nous laisser dans une sensation aussi vive que celle que peuvent véhiculer de bons films ou tout simplement cette période de fêtes.
Le drôle de Noël de Scrooge de Robert Zemeckis. Avec Jim Carrey, Gary Oldman, Colin Firth… 1h36. Sorti le 25 novembre 2009.