La femme vampire a été pendant les années 60/70 une figure très présente dans les salles de cinéma. Que ce soit chez Jean Rollin ou dans les films de la Hammer elle a souvent été utilisée à des fins érotiques, devenant ainsi source de succès commerciaux. Pourtant, quand Harry Kümel, en 1971, se voit confier la tâche de réaliser un film du genre, il décide de délaisser l’aspect purement lubrique pour axer son œuvre sur le ressenti d’une certaine sensualité à travers une imagerie forte, plus expressionniste qu’à l’accoutumée. Le résultat de cette tentative est le culte Les lèvres rouges, un conte de fée gothique et psychologique, sombre et envoûtant.
Delphine Seyrig : 50% comtesse, 50% vampire, sang pour sang femme fatale
Kümel transpose ici la légende d’Elisabeth Báthory dans sa Belgique contemporaine. Pour l’interpréter, nulle autre que l’immense Delphine Seyrig, ici iconisée comme jamais. On la voit donc s’installer dans un hôtel à Ostende avec sa suivante Ilona, juste après l’arrivée dans ce même endroit d’un couple de jeunes fraîchement mariés. Alors que la présence de la comtesse inquiète les tourtereaux, des crimes sanglants ont lieu dans la ville, renforçant le climat de méfiance à l’égard de celle qui en ces lieux paraît irréelle.

Les lèvres rouges marque par l’ambiance qui s’en dégage. Le cinéaste, conscient du genre auquel il se confronte, opte pour une stylisation exacerbée ainsi qu’une utilisation expéditive du caractère érotique. Celui-ci, présent en ouverture s’évapore rapidement pour laisser place à une dimension plus hypnotique et lascive. La mise en scène, connaissant de belles fulgurances, est assez faible dans son ensemble, rendant parfois l’heure quarante longuette. Toutefois, il semble que le but de Kümel se trouve ailleurs que dans la quête d’une réalisation clinquante à chaque instant. Là où la majorité des acteurs, imposés par la coproduction internationale, sont plutôt mauvais, peu charismatiques et caricaturaux, il trouve en Delphine Seyrig l’élément fort de son récit. Le talent de celle-ci, déjà passée chez Resnais, Truffaut et Demy, explose alors à l’écran, rendant le film appréciable.
Chaque élément du long-métrage est alors un prétexte à la mise en avant de cette actrice. Ses costumes sont fastueux, et le metteur en scène n’a de cesse de la glorifier, la rendre sensuelle, au point de rendre tout autre personnage insignifiant. La photographie, signée Eduard van der Enden, concourt à cela et sublime la star de l’œuvre à chacune de ses apparitions. C’est à travers elle que chaque enjeu va se développer, notamment ceux psychologiques. De la relation lesbienne à la question de l’émancipation de la femme, elle est le vecteur unique de la narration, portant le récit à bout de bras.
Harry Kümel livre donc un film imparfait mais charmant. Son esthétique singulière et impactante, alliée à la beauté hypnotisante de Delphine Seyrig, sans oublier la bande-son merveilleuse de l’excellent François de Roubaix, lui confèrent un statut culte inévitable. Quand les lumières se rallument on sort séduit par cette curiosité belge, avec l’envie irrépressible de faire une déclaration d’amour à une Delphine Seyrig qui nous a vampirisés.
Les lèvres rouges d’Harry Kümel. Avec Delphine Seyrig, John Karlen, Danielle Ouimet, … 1h38
Sortie le 25 novembre 1971. Ressortie par Malavida le 11 mars 2020.