Les grandes œuvres trouvent souvent un équilibre dans leur inscription thématique contemporaine et dans la manière dont elles parviennent à faire subsister un même intérêt narratif et/ou visuel à travers les années par une maîtrise totale de son ensemble. Il est peut-être encore temps pour décrire le film de Pablo Agüero comme tel, mais force est d’admettre que la découverte de ces Sorcières d’Akelarre pousse à croire qu’on vient de faire face à un futur grand film qui saura se partager pendant de nombreuses et longues années.
Cette histoire de femmes accusées de sorcellerie a tout du sujet brûlant par son actualité encore présente. On a déjà vu le mythe de la sorcière réappropriée dans son traitement moderne par un Sam Levinson par exemple avec Assassination Nation mais la volonté du film de s’inscrire dans l’Espagne du Moyen âge amène une recontextualisation historique passionnante. Après les tortures injustes, marquées par un égocentrisme assumant que la vérité masculine et religieuse est unique et irrévocable, il reste à ces victimes de se réapproprier les mensonges dans lesquels on les englobe pour mieux espérer fuir. La mise en scène de Pablo Agüero se joue de cette mise en scène de mythologie historique pour mieux permettre un affranchissement symbolique, passant notamment par un jeu de couleurs nocturnes explosant dans son troisième tiers.
D’un point de vue esthétique, le long-métrage joue sur un équilibre entre une forme d’épure naturelle et des excès baroques qui explosent justement dans une dernière partie superbe à en mourir. Il se ressent une forme de tangibilité historique qui ancre au mieux la narration tout en faisant peser une certaine ambiance sur nos héroïnes. C’est comme si un conte prenait tout simplement vie devant nos yeux, avec ce que cela reprend d’accents formels superbes et de brutalité dans ses tournants les plus matures. Tout se développe sur cet équilibre entre réalisme d’antan et épure quasi expressionniste, parvenant à décrire par l’image sa critique résolument contemporaine d’un monde d’hommes ne voyant leurs imperfections que chez des femmes victimes de cette absence d’introspection d’un patriarcat destructeur. La fuite se dessine dans un ultime plan beau de simplicité et de sobriété.

En effet, la résonance historique qui se dessine par le biais de l’obscurantisme religieux est prégnante, surtout dans ce que cela révèle des maux dessinés par le patriarcat. Toute femme n’ayant pas peur de la fureur masculine se voit transformée en danger pour autrui, avec ce que cela implique de création fantastique et mythique pour mieux relever la menace. La figure de la sorcière se voit transcendée, surtout dans son troisième tiers où l’enjeu se crée dans les attentes de ces hommes qui voient leurs maux partout sauf en eux-mêmes. Les péchés adressés en reproche se voient résonner en eux dans leur comportement, la femme ne servant à leurs yeux que de reflets de leurs propres errances non assumées. La force de conviction d’un casting tout bonnement impeccable renforce la dualité narrative ainsi que la croyance envers une œuvre aussi magistrale visuellement que douloureuse thématiquement. Faut-il rappeler les dégâts causés par les hommes et leur ego sur des femmes ayant l’audace de sortir de leurs carcans normés? L’union semble le seul moyen d’issue pour ces jeunes femmes.
Sorti depuis peu en édition physique chez Blaq Out, Les sorcières d’Akelarre trouve dans son traitement du fantastique une forme d’amertume contemporaine qui appuie encore plus la pertinence narrative et stylistique d’une œuvre de grande qualité. Plus qu’un des meilleurs films de l’année, c’est peut-être un futur classique qui se dessine sous nos yeux, avec une puissance qui explose en permanence pour mieux bouleverser ce conte historique aussi moderne que superbe de dramaturgie. Le rattrapage est à faire de manière urgente pour mieux appréhender la sorcellerie hypnotisante d’un pareil long-métrage…
Les sorcières d’Akelarre de Pablo Agüero. Avec Alex Brendemühl, Amaia Aberasturi, Daniel Fanego…1h32
Sorti le 25 août 2021