Même si le Festival de Cannes avait annoncé sa sélection l’année dernière (sans que le Festival ait eu lieu), beaucoup d’œuvres sont passées à la trappe ou finissent par sortir incognito dans les salles. C’est le cas de L’oubli que nous serons de Fernando Trueba (oscar du Meilleur film étranger en 1994 pour Belle époque), un dramatique conte familial qui recèle malgré tout d’une belle joie de vivre et d’une envie de se battre pour ses idées.
En Colombie dans les années 70-80, le docteur Hector Abad Gomez se bat tous les jours pour sortir les habitants de Medellin de la misère. Médecin engagé dans la lutte contre la pauvreté et pour les droits de l’homme, ses idées ne sont pas bien vues par une bonne partie de l’opinion politique. Malgré les menaces qui pèsent sur lui, Hector ne baisse pas les bras et continue son combat tous les jours. Malheureusement ses engagements vont lui coûter la vie quelques années plus tard. Une douloureuse perte narrée du point de vue de son fils, Hector Abad Faciolince.
Véritable phénomène en Colombie et considéré une des oeuvres les plus importantes de la littérature colombienne, L’oubli que nous serons est un roman sorti en 2006 écrit par Hector Abad Faciolince. Il y raconte son enfance aux côtés de son père sur fond de contexte politique très fort sans pour autant négliger tout l’aspect familial.

Le long-métrage est assez déroutant aux premiers abords lorsqu’il fait différents bonds entre images aux couleurs chaudes et noir et blanc ferme qui éloigne immédiatement le spectateur de l’action. Ces choix artistiques s’expliquent par le point de vue adopté. Nous sommes mis à hauteur d’enfant, celle d’Hector Abad Faciolince qui observe de son jeune âge son père tantôt patriarche de cette grande famille, tantôt médecin engagé. C’est là que le film se détache du biopic pour offrir quelque chose de beaucoup plus doux. Le réalisateur a pris soin de garder l’aspect admiratif qui se dégageait du roman pour faire d’Hector Abad Gomez un véritable super-héros. Drôle, souriant, avec des convictions et toujours le mot juste mais également un charisme flamboyant qui lui permettait de toujours attirer l’attention. Un peu trop même.
Sans jamais engluer son film dans un propos politique – sans pour autant l’occulter -, Fernando Trueba dessine un contexte fort emprunt de violence, de peur mais aussi de pauvreté. C’est dans ce contexte que le regard du fils change à mesure qu’il grandit. Tandis que la première partie insuffle quelque chose qui relève presque du sacré, la seconde plonge le jeune homme dans une phase de désillusion. Que se passe-t-il lorsque celui qu’on a idolâtré toute notre vie se révèle avec ses défauts ? Un mythe s’effondre. Celui qu’il vénérait pour ses convictions le conspue désormais pour ces mêmes raisons, se sentant abandonné et délaissé. C’est alors que le tout est rapidement contrebalancé par une troisième partie, celle où le fils est devenu grand et comprend les choix de son père. Un troisième acte fort en douceur mais aussi en émotion lorsqu’arrive le drame : l’assassinat d’Hector Abad Gomez.
Derrière cette tragédie – mise en scène de manière extrêmement sobre et respectueuse -, c’est la quintessence du film qui se dessine sous nos yeux. Alors que la plupart des membres de la famille apprennent la mort du médecin via la télé, c’est chacun.e leur tour qu’iels arrivent sur la dépouille de ce dernier – toujours allongé au beau milieu de la rue et seulement recouvert d’un drap blanc – pour se recueillir. Un moment solennel, fort et émouvant qui exprime à quel point cet homme était important dans leur vie et témoigne d’un respect immense envers ce monsieur.
Avec cette adaptation fidèle et à fleur de peau, Fernando Trueba fait de L’oubli que nous serons une chronique familiale aussi fascinante que touchante aux valeurs universelles. Un personnage haut en couleurs qui méritait bien un bel hommage sur grand écran.
L’oubli que nous serons de Fernando Trueba. Avec Javier Cámara, Nicolas Reyes, Juan Pablo Urrego… 2h16
Sortie le 9 juin