Renouveler la comédie romantique/familiale à la française, ce n’est jamais chose aisée. Peu s’y attèlent, préférant nous ressasser les mêmes codes puisque, la majorité du temps, ça marche. Le public a ses habitudes, et tant qu’il apprécie le duo d’acteur·ice·s et que les personnages secondaires sont amusant·e·s, il n’y voit que du feu. Mais parfois, sorti de nulle part, un film vient faire la différence, propose une relecture intéressante, avec des moyens bien plus ambitieux. Ces moyens, et surtout cette volonté de briser les codes, Le Discours passe son temps à nous les hurler au visage, avec effets de mise en scène constants et éclat du quatrième mur à l’appui. Sur sa forme, le film est un plaisir, parfois exagéré, mais dont on ne peut que saluer l’audace.
Adrien est en stand-by. Un mois que Sonia, l’amour de sa vie, a décidé de mettre leur relation en pause. D’ailleurs, que peut-on vouloir dire par « pause » ? C’est bien ce que notre héros se demande, lui qui nous entraîne le temps d’une soirée, et d’un énième repas de famille excessivement chiant, dans ses tribulations, fantasmes et questionnements. Alors qu’après ce mois dont il a respecté le silence, il décide d’amorcer la discussion avec Sonia, ce repas est pour lui l’occasion d’introspecter, se remémorer une partie de sa vie entre le gigot et le gratin, et de nous la raconter par la même occasion. Ce SMS sans réponse est-il la résolution de l’intrigue, ou est-ce ce discours, que lui impose son futur beau?frère pour le mariage à venir, qui déclenche chez Adrien cette volonté de se questionner sur ses relations familiales ? Sommes-nous dans une comédie romantique, ou dans un film de famille, qui joue sur les non-dits et les futurs coups d’éclat ? Un peu des deux, et sur ce point, ce n’est pas glorieux.

Parce qu’on aura beau être charmé par sa forme, Le Discours est un très bel emballage qui cache la vacuité d’une histoire bien trop éculée. Des enjeux et des arcs que nous ne connaissons que trop, sans que jamais le film ne se permette la moindre transgression. C’est d’ailleurs à mesure que l’artifice visuel s’essouffle, et commence à s’épuiser dans le dernier tiers, que l’on réalise que rien ne sera nouveau sous le soleil. La mère détachée, le père qui raconte sans cesse la même anecdote, le beau-frère qui veut constamment ramener sa science et la sœur qui sert de faire-valoir à chacun·e d’elleux, la famille d’Adrien est un ensemble d’archétypes grossiers – et une fois que l’on a compris ça, exit la comédie de mœurs, chacun·e ne servant plus qu’à offrir quelques gags, certes plaisants –, auquel s’ajoute Sonia, le fantasme amoureux. Ce n’est d’ailleurs pas nécessairement la définition des caractères qui est à blâmer. Le manque de développement de ces personnages est logique puisque nous sommes constamment dans la tête du héros, qu’il peut nous raconter ce qu’il veut et réduire ses connaissances à leurs aspects les plus primaires. Un pur one-man show, qui de ce côté-là tient plus que ses promesses.
L’aspect théâtral sied parfaitement à Benjamin Lavernhe. Accompagné d’un casting n’ayant aucune preuve à faire – bien que leurs moments d’éclats ne soient que trop rares, voire à peine existants –, il tient l’intégralité du métrage sur ses épaules, et tout s’axe sur ses humeurs. Un rôle complexe et exigeant, où le comédien dévoile une palette riche, nuancée. On se réjouit de voir Adrien briser le quatrième mur pour s’adresser à nous, arrêter le temps pour fantasmer ses interventions que sa timidité et son éducation l’empêchent d’assouvir. La mise en scène joue de son unité de lieu, offrant des moments étonnants, où la notion de « raconter une même histoire, différemment » prend tout son sens. L’espace d’un instant, on se demande si c’est bien Laurent Tirard, dont les précédents méfaits laissaient ouvertes toutes les inquiétudes – beaucoup apprécient son très oubliable Retour du Héros, et on les félicite –, qui parvient à être aussi inspiré et à jouir d’autant de maîtrise derrière sa caméra. Visuellement, Le Discours est une trouvaille, et une voie à suivre pour justement renouveler le paysage des comédies françaises.

Mais puisqu’un film est un tout, on peut difficilement se contenter d’une mise en scène, aussi soignée soit-elle, lorsque le scénario ne suit pas. Difficile d’ailleurs de se réjouir des dialogues brillamment écrits, lorsqu’ils sont au service d’une trame qui se contente au final de cocher ses cases avec la flemmardise habituelle. Formellement excellent, Le Discours ne parvient pas à être autre chose qu’une simple comédie romantique, qui nous fait croire à une constante complexité là où ses arcs s’avèrent bien trop simples. Il reste une proposition intéressante, à soutenir même, qui a le mérite d’être originale à sa façon, et de montrer que les talents formels sont toujours bien présents en France (dans d’autres genres, ce ne sont pas Le Dernier Voyage ou Méandre, sortis à la même période, qui vont nous contredire).
Demi-teinte pour cette histoire bateau, mais exécutée de main de maître. Tirard s’offre la table rase, et Lavernhe continue de prouver qu’il va dynamiter les écrans français à chacune de ses apparitions. Le Discours est imparfait, mais quitte à avoir une comédie romantique aux contours scénaristiques classiques dans sa filmothèque, autant que ce soit celle-ci.
Le Discours, de Laurent Tirard. Avec Benjamin Lavernhe, Sara Giraudeau, François Morel… 1h27
Sorti le 9 juin 2021