Attendu sans doute pour de mauvaises raisons face aux résultats et tentatives précédentes, ce Massacre à la tronçonneuse dernier cru arrive pourtant sur Netflix et est prêt a en découdre avec de jeunes influenceur·ses benêt·es. Pour le meilleur d’un plateau de viandes à la cuisson saignante par le boucher Leatherface, et pour le pire d’une bêtise d’un propos qui n’en a rien à faire de son époque.
Le Massacre à la tronçonneuse premier du nom (1974) n’a cessé d’être décortiqué pour révéler ce qui en est un chef d’œuvre absolu et inépuisable. Derrière l’idée même d’un survival minimaliste, c’est l’Amérique et sa lente agonie qui se trouvent démolies. Le Capitalisme qui abandonne ses terres et son artisanat les plus reculé·es, la famille traditionnelle et aisée déconstruite autour d’un repas de famille terrifiant, la fin d’une liberté hippie broyée, qui provoque sa mort sur son propre territoire, la brutalité montrée et ressentie par de simples procédés de cinéma… l’héritage de Tobe Hooper, mise à part son deuxième volet complètement décalé n’aura été que tentatives opportunistes et sans éclats de remettre en scène une mythologie trop précieuse pour être saisie par les mains de n’importe qui. Peut être seul Marcus Nispel et son remake de 2003, beaucoup plus frontal du côté redneck texan, reflète bien le cinéma américain d’horreur, friand de torture, de hargne et de gore. Sur le même schéma et sans prendre de haut le classique de 1974, Nispel se rattache à une ressource d’images marquantes pour les accoler à une époque qui en veut pour son voyeurisme, sa jouissance et adrénaline devant du sang, loin d’une simple tronçonneuse brandie dans les airs. Pourtant, en 2022, Leatherface est toujours là.

47 ans après les événements qui ont vu une seule survivante au massacre perpétré par Leatherface et sa famille dans le Texas, l’individu masqué a disparu. Une équipe de jeunes entrepreneurs décident de partir pour la ville d’Harlow soucieux de faire revivre ce territoire mort-vivant. Par un pur hasard et une circonstance qui cause la mort de la mère adoptive de Leatherface, il entre dans une nouvelle colère noire et signe son retour.
Dans l’impossibilité de créer de nouveaux monstres, de nouvelles figures d’épouvantes, il faut se rattacher aux mythes glaçants. Souvenirs passés, des marques laissées dans l’imaginaire collectif et dans un traumatisme personnel. On ne parle plus de « suites » mais de « requel », faisant table rase de tout ce qui a été fait depuis les classiques pour remettre en scène les légendes d’antan comme prolongement direct des chefs-d’œuvre. Ou comment se dire qu’on a maltraité des œuvres fondatrices à coups de glaviots, en voulant remplir la tirelire et penser que les gens auront tout oublié et pardonneront volontiers. À l’image des Halloween de David Gordon Green et Blumhouse, le nouveau Massacre à la tronçonneuse reprend le principe. Leatherface comme Michael Myers sont les originaux qui reviennent tuer sur un terrain de jeu qui a changé, mais qui ne demande qu’un souffle réac pour reprendre ses propriétés. Des vieux·vieilles qui des dizaines d’années plus tard se comportent comme si une seconde jeunesse se révélait. Le « grand bébé » qui tue pour se défendre comme le qualifiait Hooper, est devenu un mal absolu digne de Myers à l’aura fantastique. Face à eux, les final girls remettent également le couvert. Laurie Strode jusqu’à la fin, Sally Hardesty qui n’est qu’un oubli pour son ennemi. Finalement d’une saga à l’autre, il n’y a pas la même attache des bourreaux pour leur victime.

Ainsi, le camping car est devenu un modèle électrique de voiture marquetée par des entrepreneurs Elon Muskiens. Les territoires reculés sont morts, leur simple fantôme se balade entre quelques bâtisses encore existantes et la crasse qui prédomine. Il ne faut que la start-up nation, les banques et un peu d’argent injecté pour acheter le lieu, investir pour redynamiser l’économie des communes, et s’inscrire dans un projet de RSE. L’ancrage territorial des sociétés, leur influence et le souci du « on bâtit un monde meilleur par le business» « Viens voir comment je vais relancer ton territoire de plouc ». Quoi de mieux qu’une bande d’influenceur·ses, qui mettent leur notoriété au service du développement local et de l’Amérique qui a tout pour réussir ? Peut être l’envie de les voir se faire trucider l’un·e après l’autre.

Le principal problème de ce Massacre à la tronçonneuse c’est de ne pas rester sur ce qu’il sait faire de mieux. À savoir être une boucherie réjouissante. Comme son aîné, il tente de comprendre son époque, de brasser des soucis politiques, des problématiques actuelles (les tueries de masses dans les lycées) sans pour autant les questionner et les mettre aux services de son scénario. Les hippies ont changé, iels sont accolé·es à leur téléphone, hautain·es tout en étant idiot·es. Comme tout bon survival/slasher qui se respecte, la majorité des personnages ne respire pas l’odeur du fin limier. Ici pas de désir de copuler en pleine nuit sous une tente, ou de fumer du cannabis à outrance, mais juste de maintenir sa notoriété sur les réseaux sociaux, jouer de son influence comme une bonne auto entreprise factice qui se respecte. À la faveur d’une rencontre dans un car qui vire au visuel de torture porn, la jeunesse moderne s’envole à la vitesse d’un iPhone dégoupillé pour filmer un masque de chair. La meilleure scie à chaîne reste le plus ancien modèle, encore intact et rempli d’essence après 50 ans passé dans un mur comme par magie. Elle fonctionne sans interruption, découpe tout matériau et garde la saveur authentique du démarrage à la main avec puissance. Dommage que le film de David Blue Garcia se sabote continuellement d’une séquence à l’autre. Qu’il choisisse en bien très peu d’effets numériques, privilégie une horreur maison et un vrai goût pour le gore artisanal, mais ait aussi peu d’intérêt et de malice pour ce qu’il désire raconter. Texas Chainsaw Massacre n’est autre qu’un énième film d’horreur lambda mais plus ou moins bien exécuté formellement.

De ces figures inventées par les maîtres·ses de l’épouvante, il ne reste que le bonheur pour les amateur·ices de plaisirs régressifs, soucieux·ses de constater un bodycount toujours plus élevé. Des metteur·ses en scène baigné·es dans les influences qui les utilisent pour chercher le plan iconique de demi-dieux·déesses de l’Enfer, le trash qui imprègne la rétine. Il n’y a plus de fond, et ces œuvres ne fonctionnent qu’en temps que constat. Constat que la nostalgie n’est pas un synonyme de réussite et d’intérêt. Constat qu’on abandonne toute réflexion, et qu’on jette de vieilles figures dans une époque qui demande juste qu’elles déraillent. Constat que les peurs d’autrefois n’ont pas vocation à parcourir chaque génération pour combler le manque de créativité. Heureusement que Massacre à la tronçonneuse reste concis, divertit en 1h23 générique compris à défaut de proposer quoi que ce soit de neuf et malin.
Massacre à la tronçonneuse de David Blue Garcia. Avec, Sarah Yarkin, Elsie Fisher, Mark Burnham, Olwen Fouéré… 1h23.
Sorti le 18 février 2022.